La fondation Dubuffet fête ses 50 ans. L’occasion d’éclairer le parcours hors-norme d’un des artistes français les plus représentés à travers le monde.
À New York, sur la Chase Manhattan Bank Plaza s’élève le Groupe de quatre arbres. A l’initiative du banquier David Rockefeller, il s’agit de la première commande d’une sculpture monumentale faite à l’artiste. S’ensuivront, parmi d’autres, le Jardin d’émail pour le Kröller-Müller Museum aux Pays-Bas, le Monument à la bête deboutà Chicago, le Monument aux fantômes à Houston, le Manoir d’essorau Louisiana Museum au Danemark, la Tour dentellière pour la banque Audi à Beyrouth, ou encore, en France, la célèbre Tour aux figures sur l’île Saint-Germain à Issy-les-Moulineaux, le Reseda dans la cour de la Caisse des Dépôts, L’Accueillant pour l’Hôpital Robert Debré à Paris, la Chaufferie avec cheminée à Vitry-sur-Seine… Ces œuvres ont été réalisées à partir de maquettes dans les ateliers de Périgny-sur-Yerres (Val-de-Marne) où Dubuffet installe le siège de sa fondation en 1974. Dans ce lieu reculé, se détache à l’horizon, une immense architecture noire et blanche, étrange îlot utopique dont le sol ondulé – fait de résine recouverte d’une chape de béton – nous projette au sein de la Closerie Falbala. Le graphisme est très reconnaissable, déclinant à l’envi le même motif, circonvolutions de lignes noires cloisonnant des espaces blancs, parfois colorés de rouge et de bleu, se propageant sur autant de personnages, totems et archipels habitables. Restauré il y a 20 ans, ce site fabuleux est à nouveau sous l’œil des experts au vu de la fragilité des matériaux. On s’y promène, on accède en son cœur à la Villa Falbala. Puis à la manière d’une poupée russe, on découvre sa substantifique moelle qui n’est autre qu’une métaphore du cerveau de l’artiste : une pièce fermée où Dubuffet venait méditer et peut-être écouter du jazz dont il était passionné. Les signes labyrinthiques dansent d’ailleurs autour de nous comme autant d’improvisations aléatoires, voire combinatoires, alphabet occulte, proliférant et obsessionnel, dérivations graphiques auxquelles l’artiste donne le nom d’Hourloupe – savante hybridation de Riquet à la Houppe et d’entourloupe. De ce cycle provient également Coucou Bazar, son gigantesque théâtre animé d’une multitude de personnages, créé à la Cartoucherie de Vincennes et dont la dernière représentation a eu lieu en 2013 au musée des Arts Décoratifs de Paris. Également conservé sur le site de Périgny-sur-Yerres aux côtés des maquettes d’architectures, ce spectacle au design enfantin faisait partie de la dotation initiale que fit l’artiste, de son vivant, à sa fondation, qui devrait s’enrichir pour rassembler aujourd’hui plus de 2500 œuvres, un ensemble favorisé par une active politique d’acquisition. C’est cette histoire qui est racontée aux murs du site logé rue de Sèvres à Paris, deuxième lieu de la fondation où l’on découvre parmi les plus belles pièces de ce fonds. Le goût fantasque et l’érudition de Dubuffet ont construit un univers inédit qui respire une éternelle jeunesse, peut-être parce que l’artiste est probablement un des seuls à avoir compris la maxime de Picasso : « A douze ans je dessinais comme Raphaël. J’ai mis des années à dessiner comme un enfant ».
Fondation Dubuffet, 1974-2024, Chronique de 50 ans d’activités, jusqu’au 3 janvier 2025