Ce sont deux artistes aussi stimulants qu’inclassables que propose de faire connaître le Festival d’Automne à Paris avec le copieux portrait consacré aux libanais Rabih Mroué et Lina Majdalanie.
« Tout le monde est concerné aujourd’hui par la catastrophe, pas seulement les Libanais. » Ces mots de Rabih Mroué, interrogé il y a un an au sujet de Hartaqat, spectacle autour de la notion d’« exil » présenté en compagnie de sa partenaire Lina Majdalanie, sont plus que jamais d’actualité. Plasticiens, dramaturges, metteurs en scène, cela fait une trentaine d’années que le couple signe des œuvres inclassables à la frontière du théâtre, de la performance et des arts plastiques. Longtemps basées à Beyrouth, leurs créations offraient un point de vue exemplaire de la fécondité du milieu artistique libanais, mais aussi des difficultés éprouvées au jour le jour pour qui entend penser librement dans un pays dominé par les conflits interconfessionnels et marqué par des années de guerre civile. Installés depuis 2013 à Berlin, tout en conservant des liens étroits avec leur pays d’origine, Rabih Mroué et Lina Majdalanie ont pour la première fois l’occasion de présenter une rétrospective de leurs œuvres et deux nouvelles créations – un duo avec Anne Teresa De Keersmaeker et un spectacle sur Bertolt Brecht – dans le cadre d’un portrait que leur consacre le Festival d’Automne.
Il y a quelque chose de passionnant à suivre l’évolution artistique de ce duo liée au fait que d’une création l’autre, ils mettent en scène leur relation avec la réalité du Moyen Orient en y insérant inévitablement une touche subtile d’ironie et de distanciation à laquelle est parfois associée une dose de fiction. À cet égard, ce qui fait l’originalité de leurs œuvres, c’est qu’il s’agit le plus souvent d’abord des dispositifs conçus avec beaucoup d’ingéniosité. Ainsi dans Qui a peur de la représentation ? (2005) un homme et une femme (Rabih Mroué et Lina Majdalanie) tirent au sort des noms d’artistes célèbres du body art inscrits dans un catalogue. Imaginons que la femme tombe sur la page 33 où est écrit le nom Gina Pane, elle a alors trente-trois secondes pour décrire une performance de cette artiste. De fil en aiguille au cours du spectacle, Rabih Mroué en vient à évoquer le meurtre d’une dizaine de personnes par Hassan Mamoun, un fonctionnaire libanais. En mettant en parallèle ce fait divers sanglant et les violences auto infligées par les artistes du body art, il aborde de front les questions liées à la censure dans une société intolérante où l’art est perçu comme une menace.
En 2011 sur fond de Printemps Arabe, le duo présentait 33 tours, œuvre où sans aucune présence humaine sur le plateau était exposé par le biais de vidéos mettant en scène les réseaux sociaux le portrait de Diyaa Yamout, héros fictif – son histoire s’inspire d’événements ayant réellement eu lieu – dont le suicide suscite une multiplicité de réactions
différentes, entre amitié heurtée, souvenirs intimes, récupération démagogique, offrant une image contradictoire révélatrice des tensions de la société libanaise de l’époque.
Considérant la diversité d’approches et de points de vue offerts par le travail de Rabih Mroué et Lina Majdalanie, il n’est pas exagéré de souligner à quel point la possibilité de se confronter dans le cadre d’un festival à une sélection importante de leurs œuvres est une chance qu’il ne faut surtout pas laisser passer. Qu’elles prennent la forme de « conférences non académiques », selon leur définition, ou de créations singulières comme Biokraphia et Riding on a Cloud, autour de la notion d’autoportrait, leurs performances toujours finement pensées, suscitent systématiquement un effet d’étonnement qui remet en question notre perception du monde. Enfin ce portrait sera aussi l’occasion de découvrir Quatre murs et un toit, inspiré du procès de Bertolt Brecht en 1947 aux Etats-Unis devant le Comité des activités anti-américaines chargé de lutter contre l’activisme communiste. Et aussi A Little Bit of the Moon en duo avec Anne Teresa De Keersmaeker. Beau programme.
Portrait Rabih Mroué et Lina Majdalanie dans le cadre du Festival d’Automne à Paris, à partir du 20 septembre.