Roderick Cox, 36 ans, devient le nouveau directeur musical de  l’Opéra Orchestre National Montpellier. Il ouvre la saison avec La Force du destin. Rencontre avec un chef américain biberonné au Gospel comme à Verdi.  

Quelles ont été vos premiers pas en musique ? 

Je suis né en Géorgie, dans la ville d’Otis Reding, des Allman Brothers, de Little Richard… Ma mère chantait dans un chœur de Gospel et j’ai passé des heures à l’écouter. Enfant, je me réveillais en musique, je m’endormais en musique, c’était beaucoup de joie. À l’école, j’ai commencé les percussions car mon grand frère jouait de la batterie et je voulais le faire pareil. Mais il s’est finalement tourné vers le sport, alors que moi, j’ai senti que la musique était mon élément. Au lycée, j’ai commencé à m’ennuyer au fond de l’orchestre. Je me suis demandé quel serait l’instrument à apprendre pour me retrouver au milieu. Dans le band où je jouais, il y avait plein de trompettistes, de flûtistes, de clarinettistes mais pas beaucoup de cornistes. Je savais que le cor anglais était un instrument très difficile, qui demande une certaine éthique de travail. Un été, on m’a prêté un instrument et j’ai appris tout seul. Finalement, j’ai été invité dans un honor band, un ensemble qui réunissait les meilleurs instrumentistes des différents lycées de la région. J’aimais la vibration du cor, et c’était une belle introduction à la direction d’orchestre car une corniste doit être un caméléon : il doit jouer avec les bois, les cuivres, les cordes, créer un son qui se mêle à toutes ces familles d’instruments, ce qui nécessite une grande qualité d’écoute. Mon projet initial était de devenir enseignant car j’adorais mon prof de musique au lycée, alors une fois à l’université, je me suis d’abord spécialisé dans l’éducation musicale. Quand je suis entré à la Northwestern University, malgré les cours de direction d’orchestre, je gardais cela en tête. Mais mon professeur, le chef russe Victor Yampolsky, m’a dit d’un ton catégorique, « Toi, il faut que tu diriges des orchestres ! » Alors il m’a pris sous son aile… 

Comment votre carrière a-t-elle démarré ? 

Avec beaucoup de travail et de la chance. Après l’université, trouver un poste de chef assistant est encore plus aléatoire que trouver un poste d’instrumentiste. Quand on se propose pour une audition, il faut pouvoir montrer des vidéos de soi devant un orchestre de qualité, or ce n’est pas toujours facile. En sortant de l’école, je n’ai pas trouvé de travail. Ma première audition a été pour le Memphis Symphony Orchestra mais ils ne m’ont pas pris. Je désespérais, mais un jour, alors que je venais de me faire opérer du pied, j’ai reçu un appel du Alabama Symphony Orchestra, qui me proposait une audition, car la directrice musicale de Memphis, Mei-Ann Chen, leur avait parlé de moi. J’y suis allé avec une botte orthopédique, mais j’ai obtenu le poste ! J’avais franchi la première étape, celle de travailler avec un orchestre régional assez bon. C’est comme ça que j’ai pu participer aux deux festivals les plus prestigieux pour les jeunes chefs, Aspen et Tanglewood. Ensuite, les portes se sont ouvertes, certains orchestres m’avaient remarqué. Et c’est ainsi que je suis devenu assistant à l’orchestre du Minnesota, un des tops 10 aux Etats-Unis. Là-bas, j’ai lancé des projets éducatifs, développé mon répertoire, trouvé un agent puis gagné le prix Georg Solti. Mon agent m’a conseillé de m’installer en Europe où j’allais pouvoir me créer une carrière toute neuve. J’ai quitté le Minnesota pour Berlin le jour même où mon contrat a pris fin. C’était vertigineux, mais je ne regrette pas. En Europe, j’ai commencé à avoir des invitations, avec le BBC Symphony, le Dresdner Philharmonie, à Madrid et puis à Montpellier. 

Comment a commencé la relation avec cet orchestre ? 

J’ai été invité à Montpellier en 2021, en plein Covid, pour un concert symphonique avec un programme américain : John Adams, Samuel Barber, Jennifer Higdon. L’orchestre était au complet mais il n’y avait pas de public. Je me souviens de m’être dit que cet orchestre avait une forte personnalité et une grande capacité à traduire l’émotion, même dans un répertoire qui ne lui était pas familier. Mais je n’arrivais pas à savoir si ç’avait été un bon concert, à cause de l’absence du public. Pourtant, j’avais adoré l’orchestre et apparemment, les musiciens avaient aimé aussi notre collaboration car on m’a demandé de revenir pour un Rigoletto à l’automne. C’était la panique, j’avais déjà des engagements pour deux autres opéras aux Etats-Unis. J’ai accepté mais j’ai passé un été très studieux ! Je suis ensuite revenu deux fois pour une semaine symphonique, en 2022 et 2023. Chaque fois que je quittais l’orchestre, je me demandais ce que cela donnerait si nous nous pouvions travailler plus longtemps ensemble, quelle profondeur nous pourrions atteindre. Je sentais l’appétit des musiciens pour l’excellence et pour la découverte.  

Que voulez-vous accomplir en tant que directeur musical ? 

En en tant qu’Américain, j’ai envie d’un échange des cultures, d’apporter des œuvres que les musiciens ne connaissent pas forcément. Les exposer au grand répertoire américain, bien sûr, à Copland, Gershwin, Barber, mais je voudrais qu’ils découvrent des compositeurs moins connus comme George Walker ou William Dawson et son Negro Folk Symphony. Étonnamment, c’est un orchestre qui ne joue pas beaucoup de musique française, bien que ce répertoire soit dans l’ADN des musiciens. J’ai donc envie de programmer du Ravel, du Debussy… C’est un peu intimidant de le faire en France mais c’est très stimulant. Je garde un beau souvenir d’avoir dirigé Le Prélude à l’après-midi d’un faune avec l’orchestre de Cincinnati. Son directeur musical, Louis Langrée, est venu me voir après, et il m’a dit qu’il avait apprécié ma manière de diriger Debussy, ce qui m’a énormément encouragé. J’aimerais aussi intégrer des œuvres de compositrices, des oeuvres contemporaines, car il faut être versatile, mais garder les grands classiques, Beethoven, Mozart, qui sont ce que j’appelle les légumes, les vitamines de l’orchestre, qui lui permettent d’élever son propre son.  

Qu’est-ce qui vous plaît dans La Force du destin ?  

 Il y a dans cet opéra un message que l’on élude souvent, le racisme. Don Alvaro est amérindien, et le racisme dont il souffre est une force du mal qui l’empêche de trouver le bonheur. Moi qui suis issu d’une minorité, ce message me frappe. Et j’espère que ce sera l’occasion de revoir mon prédécesseur, Michael Schønwandt, pour qui j’ai beaucoup d’estime, qui a dirigé des chanteuses aussi extraordinaires que Jessye Norma. Il est souvent venu à mes concerts et m’a passé le flambeau avec beaucoup de grâce. 

La Force du destin, de Giuseppe Verdi, direction musicale Roderick Cox,  mise en scène Yannis Kokkos, du 22 au 27 septembre à l’Opéra Orchestre de Montpellier