Eduardo Halfon, avec ce Tarentule, signe une nouvelle fois un livre magnifique, tisse une œuvre toujours plus cohérente, ici autour de la Shoah.

Dès la publication chez Quai Voltaire de la traduction de La Pirouette par Albert Bensoussan, il paraissait évident qu’Eduardo Halfon était un écrivain majeur de son temps. Ce que ne firent que confirmer et amplifier ses livres suivants, de Monastère à Un fils comme un autre en passant par Signor Hoffman. Tous étaient rédigés de la même encre. Avec un même besoin de questionner inlassablement l’Histoire et ses heures tragiques. Sans pathos et avec une économie de moyens impressionnante. Dans l’admirable Tarentule, on entendra une nouvelle fois parler d’un grand-père polonais qui fut prisonnier à Auschwitz et avait sur l’avant-bras gauche tatoués les mystérieux chiffres verts et délavés 69752 dont il prétendait qu’il s’agissait là de son numéro de téléphone. Eduardo Halfon revient ici sur un événement particulièrement marquant de son enfance. À une époque où sa famille était exilée depuis trois ans déjà aux États-Unis, dans le sud de la Floride, après avoir fui le Guatemala, sa guerre et son chaos. Avec son frère cadet, il avait repris le chemin de sa terre natale pendant les vacances scolaires afin de participer à un camp destiné aux enfants juifs dans les montagnes de l’Altiplano. Le jeune Eduardo avait emporté sa montre digitale et le Kodac Instamatic offert par ses parents, parents auxquels il avait commencé à s’opposer. Sur place, il n’avait pas manqué d’être intrigué par l’instructeur en chef qui les encadrait. Ce Samuel Blum qui gardait un serpent rouge dans la manche de son imperméable. Comme il n’avait pas manqué d’être troublé par la présence de Regina, bien qu’il ait oublié l’avoir croisée l’été précédent dans la maison de ses cousins. Une adolescente décidée venue quant à elle avec un exemplaire en langue anglaise de Franny et Zoey de Salinger. L’emploi du temps du camp n’était pas de tout repos, obligeant notamment les participants à monter la garde de nuit. Apprendre à allumer un feu ou les différentes techniques de survie était aussi au programme. Le séjour vira au cauchemar quand les enfants furent contraints à éprouver souffrance et peur, à entendre un langage belliqueux et antisémite, à subir de violentes brimades censées rappeler les conditions d’un camp de concentration… Devenu un écrivain résidant à Berlin, l’auteur de Monastère et de Deuil a revu plusieurs protagonistes de l’époque. Lors d’un séjour à Paris, il s’est entretenu avec Regina, désormais avocate et fumeuse de Gitanes papier maïs à la couleur « jaune d’œuf ». Dans la capitale allemande, ensuite, il est allé écouter la version des faits d’un Samuel Blum toujours aussi inquiétant… Tarentule constitue la nouvelle pierre angulaire d’une œuvre cohérente et puissante. Chaque livre d’Eduardo Halfon fait écho aux précédents. Et prouve le besoin impérieux de leur auteur de s’approcher au plus près de la vérité.

Eduardo Halfon, Tarentule, traduit de l’espagnol (Guatemala) par David Fauquemberg, Quai Voltaire, 208 p., 17, 50€