Dans son nouvel ouvrage, Le Vertige MeToo, Caroline Fourest propose une éthique de compréhension convaincante à propos de cette libération de la parole sur les abus sexuels, tout en pointant ses dérives. Le livre vient de recevoir le prix Transfuge du meilleur essai politique.

Sept ans après l’apparition de #MeToo, l’ouvrage de Caroline Fourest n’est pas un manifeste féministe de plus, ni une prise de position circonstanciée sur telle ou telle affaire. Elle nous livre des clés d’analyse à partir de scandales qui ont défrayé la chronique. Les certitudes précoces sont souvent mauvaises conseillères et un peu de recul ne nuit pas à la santé. Son essai est précis, pondéré, ferme face aux abus sexuels, sans amalgame ni invective. Et d’une clarté, qui a toujours été sa force.

Oui, les délais de prescription légale et la crainte des conséquences d’un dépôt de plainte n’incitent pas les victimes à se faire connaître, des années après une agression ou un viol. Mais Caroline Fourest écrit qu’il n’y a pas d’autres choix que de passer par la justice, les plateaux télé ne pouvant se substituer à la cour de justice avec avocats et ses témoins à charge et à décharge. Elle plébiscite le choix courageux d’une victime de #MeTooGarçons : « Si tu n’amènes pas ton bourreau en justice, alors tu ne balances pas son nom ».

Et les artistes fautifs ? Oui pour condamner l’homme, mais pas l’œuvre, presque toujours dissociable de l’agresseur. Quelques exemples : Jacques Doillon, « annulé », tout comme malheureusement les années de travail de son dernier film. Depardieu fut un impardonnable prédateur en liberté sur les plateaux de cinéma, mais ses films doivent vivre, continuer d’être vus, eu égard à ses grandes qualités d’acteur. Kechiche, qui épuiserait ses actrices en scènes de sexe répétées ad libitum ? Rien qui mérite le bûcher, mais Fourest n’a pas forcément envie de voir la suite de La Vie d’Adèle, dont les étreintes sonnaient faux, d’après elle.

Sofiane Bennacer, acteur des Amandiers de Valéria Bruni-Tedeschi, mis en cause au moment des votes pour les César ? « Personnellement, je n’ai pas voté pour l’acteur mais pour le film, oui », nous dit Caroline Fourest. À nouveau, nuance, tout sauf une réaction épidermique. Fourest raisonne, toujours, froidement et le plus justement possible.

Avec la sociologue Irène Théry, si elle défend la présomption d’innocence pour l’accusé, Caroline Fourest plaide aussi pour une « présomption de véracité » pour la victime déclarée. Alors oui, « on te croit ». La formule est un viatique indispensable d’écoute des victimes présumées, mais avec discernement, pas aveuglément. Elle se méfie, avec son amie Tristane Banon, victime de DSK, du « narcissisme plaintif ». Banon : « Je ne revendique aucun statut victimaire, je n’en fais pas profession. Y résister n’est pas faire injure aux victimes ni leur demander de se taire. Lutter contre le victimisme, c’est recueillir leur parole comme victime sans les y enfermer à vie ».

Point de « police du cul » non plus, avec Ovidie, féministe connaisseuse de la chose, qui publie plus « pour éduquer que pour dénoncer ».

S’il faut se forger « un début de conviction lorsqu’un #MeToo vise une personnalité », Caroline Fourest nous livre « deux astuces » : le test de l’ascenseur – serais-je montée avec lui, l’esprit tranquille, lorsque j’avais 20 ans ? Et le test du faisceau d’accusations. « Si plusieurs victimes présumées accusent un homme d’agressions sexuelles graves et répétées et osent porter plainte, j’ai du mal à croire à une fumée sans feu ».

L’analyse de Caroline Fourest montre aussi que la honte a changé peu à peu de camp en cinquante ans de dénonciations et de lutte pour modifier la loi – le délai de prescription a été allongé et la minorité sexuelle est maintenant de 15 ans. Dans la France de 2024, il est concevable de dénoncer les agressions de celui qui fut le symbole national intouchable de la lutte contre le mal-logement. Inimaginable il y a quelques années, la victime des viols du retentissant procès de Mazan – un homme livrait sa femme droguée à des inconnus – a courageusement refusé le huis clos des débats pour un procès entièrement public. Un grand pas donc, pour les femmes, un bienfait, mais ajoutons dans l’esprit de Caroline Fourest, que ce pas doit demeurer dans le cercle de la raison, et éviter de tomber dans des travers comme celui du festival de Deauville, où, un innocent, un innocenté par la justice française, Ibrahim Maalouf, a été brutalement et injustement évincé, au mépris du droit français. 

Caroline Fourest, Le Vertige MeToo : trouver l’équilibre après la nouvelle révolution sexuelle, Grasset, 336p., 22€