Blanca Li vient de re-créer son Didon et Enée en « version ballet », entre danse pure et tragédie, comme une vague qui se glisse à l’intérieur du corps. A découvrir ce soir à Arcachon, au festival Cadences.
Par Thomas Hahn
Elle est de retour à Paris, et comment ! Blanca Li s’apprête à prendre les rênes en tant que « présidente » à La Villette. D’ici là, la Madrilène, universellement connue pour son tempérament exubérant, est en tournée avec une pièce de danse drôlement sobre, romantique et poétique, renouant avec une facette de son art qu’elle avait entre autres révélée en 1998 avec Le Songe du Minotaure, une rêverie en blanc sur des motifs helléniques. Et maintenant, du noir. La black box, une grotte, une nuit, du clair-obscur et une reine Didon qui broie du noir, voyant son rêve d’envol amoureux détruit par de funestes sorcelleries. Dans cette tragédie exotico-hellénique, Blanca Li n’hésite pas à glisser quelques pépites de Movida : tantôt un zeste de sex on the beach entre la Reine de Carthage et le Prince de Troie, tantôt une scène de ménage où la jambe royale de Didon menace de quelques coups de karaté l’amant, déjà malmené par la maléfique magicienne. Mais au fond, ce ballet contemporain danse les ambiances émotionnelles et la beauté des éléments. Les corps ondulent, se bercent ou se brisent et finalement, glissent. Une Blanca Li créatrice d’ambiances subtiles, c’est autre chose que la Blanca révélatrice d’univers urbains telle qu’elle nous était apparue ces derniers temps.
Un point commun existe cependant, notamment avec son Macadam Macadam de 1999, ode à la glisse urbaine qui avait amusé son public jusqu’en 2013. Cette glisse devient ici méditerranéenne – et donc aquatique – en contrepoint d’une danse sensuelle et poétique, tantôt ornementée en contrejour tantôt éclaboussant, quand les corps sont projetés l’un vers l’autre sur un plan d’eau qui brille de mille éclats. L’éclairagiste Pascal Laajili ensorcelle le sol, créant une illusion d’optique des plus féeriques. Et il arrive qu’une image nous renvoie directement à l’univers de Pina Bausch, notamment quand Enée, portée par la voix de Kate Lindsey, se lamente sur son sort et laisse éclater son désir de mort. Si ces instants sont fugaces, leur charme perdure néanmoins, dans cette « version ballet », recréée à l’Opéra de Dijon à partir de la « version opéra » du spectacle qui, d’après Blanca, « n’a rien à voir » avec la nouvelle mouture.
Simplement, quand la tournée de la « version opéra » créée avec Les Arts Florissants sous la direction de William Christie prit fin, la chorégraphe demanda au maître de la musique baroque l’autorisation d’utiliser un enregistrement pour la nouvelle version, intégralement dansée. Aussi la chaleur ardente de la tragédie méridionale, revue par Purcell en chef-d’œuvre du baroque anglais, continue à résonner. Mais la danse est libre. Loin de Blanca l’idée de doubler les rôles entre chanteurs et danseurs. Elle profite des possibilités offertes par un plateau « nu » pour y inscrire trajectoires et ondulations sans fin. Et fait monter le niveau d’eau jusqu’à un centimètre ! Une telle hydrométrie n’impressionnera en rien un galérien antique. Mais elle était suffisante pour donner des sueurs froides aux musiciens qui craignaient pour leurs instruments, comme se souvient la chorégraphe. Dans la « version ballet », c’est tout le contraire : Plus ça glisse, mieux ça va. Aussi on n’ose à peine décrire comme « fluide » cette danse qui permet à Li de donner à voir sa propre vision des personnages et de leur histoire : « En réalité, nous racontons ce qui n’est pas dit dans le livret ! » Séduction, déception, désespoir : Et l’histoire de Didon et Enée en devient universelle.
Physiquement parlant, cette danse des émotions révèle les états du diaphragme. Comme l’explique Blanca, « c’est notre centre émotionnel, c’est là qu’on éprouve les sensations fortes. D’où cette espèce de constant mouvement, comme une vague qui s’inscrit dans le corps », entre le chœur dansé et les protagonistes. L’image finale invite à imaginer une lutte contre les vagues, quand l’équipage rame à travers le plateau, dans les maillots de bain noirs conçus par Laurent Mercier. Le créateur des costumes n’aura jamais eu à réaliser un travail aussi sobre pour Blanca Li qu’il dit accompagner « depuis trente ans ». L’image finale voit les danseurs se transformer en galériens qui prennent la mer en glissant sur l’eau. Mais ils évoquent tout autant, sinon plus, une équipe d’aviron se dirigeant vers les JO de Paris. Le sport moderne de l’aviron descendant directement de la pratique antique, Blanca Li nous rappelle ici que les Jeux Olympiques aussi sont un legs hellénique et méditerranéen à l’Europe, du temps d’Enée à celui de Purcell.
Refs : Didon et Enée de Blanca Li
Festival Cadences, Arcachon, du 17 au 22 septembre, Didon et Enée, Théâtre Olympia, jeudi 19 septembre, 21h
Du 17 au 31 octobre, Espace Chapiteaux, La Villette