C’était la belle surprise du Festival d’Aix l’année dernière, c’est aujourd’hui l’un des évènements de l’automne parisien, Picture a day like this, de George Benjamin et Martin Crimp, à l’Opéra Comique fin octobre. Fait rare, le compositeur dirigera l’orchestre.
Une scène vide. Un carré sombre et étincelant. Une femme en robe à fleurs nous annonce qu’elle a perdu son enfant. Ainsi s’ouvre Picture a day like this, le conte tragique et saisissant signé Martin Crimp et George Benjamin. La femme en question s’avère la soprano Marianne Crebassa, l’air hagard, qui commence à nous chanter son histoire. Elle portera de bout en bout cet opéra comme s’il était écrit pour elle. Pour retrouver son enfant, elle n’a qu’un seul espoir ; rencontrer quelqu’un d’authentiquement heureux. Pendant une heure, elle nous retiendra auprès d’elle, au gré d’une courte épopée humaine et philosophique. Des rencontres brèves et frappantes se succèderont : un couple, un artisan, un artiste, un collectionneur, une femme mariée. On se croirait dans Candide, mais ici, le tragique prend le pas sur l’ironie voltairienne. L’opéra chez Crimp et Benjamin se présente d’emblée avec une force onirique de conte noir : on ne perd pas son temps dans Picture a day like this, on avance au rythme d’une musique éminemment théâtrale, rythmée par des cloches et des cuivres, dans une tension permanente. La sobriété de la scène et de la musique s’ouvre peu à peu vers une profondeur de fable. Nul hasard donc que la mise en scène et scénographie soient signées Daniel Janneteau, celui-là même qui avait pensé il y a quelques années la scénographie du si puissant Into the Little Hill, relecture existentielle du conte du joueur de flûte d’Hamelin composé par le même duo Crimp/Benjamin. Ici, ils partent du même principe de traverser un mythe, la quête du bonheur, à travers différentes dimensions humaines, musicales et scéniques. Où chercher le bonheur ? Le couple passionné, servi par les troublants Beate Mordal et Cameron Shahbazi n’en sont peut-être que des reflets lointains, tout comme cette compositrice qui ne cesse de courir, et vit dans la terreur d’être oubliée…Le bonheur semble un objet kaléidoscopique qui se métamorphose, au gré de la musique inquiétante de Benjamin et du glissement de la scène. Au gré des rencontres du personnage principal, la scène se découpe et se réinvente, ouvrant et refermant ce que l’on pourrait croire aussi être le rêve éveillé d’une femme désespérée. Marianne Crebassa, chanteuse à la présence, physique et musicale, si incontestable, est de taille à porter cette ambiton et ambiguïté là. Il y a une dimension hypnotique dans cet opéra, qui naît sans doute des leitmotivs musicaux, mais aussi de ces brefs tableaux qui semblent à chaque fois décliner la même idée d’un bonheur qui ne se nourrit que de sa propre illusion, chaque personnage se tenant sur cette crête entre l’ombre et la lumière, passant de l’un à l’autre, par les histoires qu’il se raconte. Les dix dernières minutes, qui voient Marianne Crebassa faire face à son double inversé, puissante Anna Prohaska, dans un duo qui se déploie en accord avec la scénographie, offre une clôture marquante d’un opéra qui demeure, par ses images et ses mots, longtemps dans la mémoire.
Refs : Picture a day like this, George Benjamin et Martin Crimp, direction musicale George Benjamin, mise en scène Marie-Christine Soma et Daniel Jeanneteau, Opéra Comique, au sein du Festival d’Automne, du 25 au 31 octobre.www.opera-comique.com