Le grand rendez-vous lyonnais de l’art contemporain raconte magnifiquement, à travers les regards de 78 artistes, la possibilité de dépasser la violence du monde. Voici notre sélection des artistes incontournables. 

Rien de tel que la Biennale de Lyon pour prendre le pouls de l’art contemporain, loin des paillettes de celle de Venise et au plus près des considérations des artistes et de la société. Pour cette 17e édition, la commissaire invitée, Alexia Fabre, directrice de l’École des Beaux-Arts de Paris, et Isabelle Bertolotti, directrice artistique de l’évènement, ont invité des artistes lucides mais utopistes, attentifs au soin apporter aux êtres et à la nature. Loin des œuvres dogmatiques qui relaient au second plan les questions esthétiques, la majorité des propositions artistiques exposées manient la subtilité, le sens de l’équilibre et de la beauté. Tandis que la spacieuse scénographie permet de se plonger dans des univers personnels plutôt que de butiner à travers un choix roboratif, comme ce fut le cas à certaines récentes biennales. Cette année, l’évènement se déploie sur neuf sites principaux de la métropole lyonnaise. Trois sont incontournables et permettent d’apprécier la création la plus émergente autant que les artistes établis. L’institut d’art contemporain (IAC) de Villeurbanne accueille les plus jeunes. Dans les deux monumentales halles industrielles des Grandes Locos, 36 artistes plus établis ont imaginé des installations en échos à l’architecture et à l’histoire des lieux. Enfin, au Musée d’art contemporain, une exposition plus (trop ?) foisonnante rassemble un kaléidoscope de pratiques et d’œuvres généralement plus intimistes. 

Nombreuses sont les découvertes et les coups de cœur, à commencer par le clou de la biennale, les grandes installations qui investissent les Grandes Locos. Une pensée les relie, celle de faire communauté. Les artistes les plus passionnants, collaborent ou incitent à coopérer, pour construire ensemble. Le compositeur Bastien David installe des instruments de son invention et invite le public à jouer collectivement pour, « faire société sonore, s’écouter et prendre soin ensemble, précise-t-il. À travers ce grand organisme vivant, je cherche à comprendre comment une société fonctionne. » Tandis qu’un ensemble de mains à l’index levé de Myriam Mihindou demandent de prendre la parole. À moins qu’elles ne se soulèvent, ensemble, dans un même élan. La collaboration est inhérente à l’installation magistrale d’Oliver Beer, apothéose visuelle et sonore de ces halles. « Je travaille avec la résonance, explique l’artiste britannique, en explorant les notes appartenant à des lieux spécifiques. Ma mission est de trouver « La » note ». Oliver Beer a cette fois invité huit musiciens, et non des moindres – Rufus Wainwright, Woodkid, Mélissa Laveaux et Michiko Takahashi et d’autres- à faire chanter la Grotte de Font-de-Gaume habitée par des peintures rupestres. Resonance Cave baigne le corps des visiteurs dans la douceur et la profondeur des voix et des images, jusqu’au climax du dernier chant choral populaire anglais, Round and Round the Earth is Turning. L’art permet ainsi de faire se rencontrer des temporalités, voire de condenser le temps, pour en éviter la fuite inexorable, à l’image de deux autres œuvres elles aussi remarquables par leur poétique beauté. La vidéo contemplative Trois temps d’Ange Leccia se compose d’images filmées depuis les années 80 dans des trains à travers le monde. Pour Le Fleuve sans rives, Jean-Christophe Norman a peint mille paysages marins sur les mille pages du roman éponyme de Hans Henny Jahnn. Autant d’heures d’écriture, de lecture et de peinture compressée en une installation visuelle. Enfin, la jeune Hajar Satari expérimente le ralentissement induit par la prise d’opium ou la rareté de l’oxygène en haute montagne. « Cela me permet de prendre le temps d’observer la nature, les êtres et leurs besoins premiers ». Elle produit alors des sculptures sensuelles d’une blancheur éclatante, un brin surréalistes, des dessins et des photographies, exposés non pas aux Grandes Locos mais dans ce havre de paix datant du XII siècle, reconstruit au XVIIIe siècle qu’est la Cité internationale de la Gastronomie. 

À l’IAC, les jeunes artistes invités se penchent sur notre relation au territoire. L’artiste indien Sahil Naik narre l’histoire du village submergé de Curdi dans la région de Goa. L’installation plongée dans le noir intitulée All Is Water, and to Water We Must Return représente les ruines des habitations, tandis qu’un chant raconte les histoires des habitants que l’artiste récolte depuis huit ans. Là est la force de cette pièce, d’avoir écrit cette mémoire commune que les habitants chantent lorsqu’ils se retrouvent, une fois par an, dans le village immergé le temps d’une journée. Plus loin, il est aussi question de mémoire et de transmission dans l’installation d’objets agricoles mi-futuristes mi-grégaires de Jennetta Petch & Szymon Kula. Le duo d’artistes britanniques installés en France s’inspire des communautés rurales autonomes à travers le monde et de leurs outils qui racontent leurs pratiques. Ils inventent et exposent le foyer d’une chaumière construite en une nuit, selon une coutume bressane, et les nouveaux outils nécessaires à la construction de leur utopie. 

Enfin au Musée d’art contemporain, la déambulation dans les trois étages est plus dense. Le regard s’arrête sur le doux Autoportrait avec enfant photographié par Aglaé Bory. Il fait écho à la tendresse du portrait de l’homme avec un bébé face à l’immensité du paysage chinois, pris par Luo Dan dans la région des Trois Gorges, tristement célèbre pour son barrage qui nécessita la destruction de villages. Et que Nadav Kander a lui aussi photographié, révélant le pouvoir de résilience des habitants. Le regard accompagne ensuite le départ de l’homme à la valise sur un ponton fixé par Jalal Sepehr. Plus loin, il s’attarde sur la force des très grands portraits peints par Ludivine Gonthier et des petits dessins faussement naïfs de Tirdad Hashemi & Soufia Erfanian. Pour finir dans la grande installation que Grace Ndiritu a imaginée à partir d’œuvres prêtées par cinq musées lyonnais, hymne à la femme dans tous ses états. S’ils constatent la violence du monde, ces artistes inventent surtout d’autres possibles et révèlent la beauté de l’instant. 

Biennale de Lyon Les voix des fleuves Jusqu’au 5 janvier 2025.