Une triple exposition à la Galerie Lelong à Paris présente trois somptueuses nouvelles séries de Fabienne Verdier. Des peintures abstraites pour incarner l’expérience du monde.
On ne le répétera jamais assez, l’art s’appréhende en premier lieu avec les sens. Rien ne vaut l’expérience physique des œuvres de cette artiste unique, incontournable, qu’est Fabienne Verdier, dont la douce voix contrecarre le quotidien parisien. Dans le premier espace de la Galerie Lelong & Co., situé au premier étage du 13 rue de Téhéran à Paris, le magnifique ensemble des cinq Walking Paintings se déploie sur trois murs. Notre corps s’immerge dans la matière solaire sur laquelle l’artiste française a écrit, tracé, une ligne noire et vibrante, superposition d’une matière brillante, liquéfiée, échos d’un mouvement passé. Fabienne Verdier peint avec son corps, au sens propre. Dans les années quatre-vingt-dix, à son retour d’Asie où elle étudia pendant dix ans aux côtés des vieux maîtres calligraphes, la jeune Française imagine un immense pinceau suspendu qu’elle déplace à l’aide de son guidon de vélo. « On sait que toutes les formes terrestres et universelles sont façonnées par les lois de la gravité. Il me semble alors que celles qui naissent d’un acte de peindre qui joue avec cette loi sont en harmonie avec la nature, explique l’artiste. Le pinceau pendule me permet d’inventer un nouveau langage. On peint comme un fleuve ou une cascade de haute montagne, on se baigne dans cette énergie à l’œuvre. Et cette force permet peut-être d’exprimer les forces poétiques du monde. » Depuis l’artiste a inventé une autre technique qui lui permet de s’éloigner des coups de pinceaux et de jouer avec un flux gravitationnel constant. D’un réservoir chute la peinture, en continu. De là sont nés ses Walking Paintings, « une nouvelle expression des forces en mouvement dans la nature. J’ai ainsi découvert que du chaos apprivoisé pouvait naître la forme», précise l’artiste. La grandeur de ses pièces réside dans la beauté de cette matière et dans l’intensité qui s’en dégage. Expérience similaire face aux espaces picturaux de Mark Rothko qui semblent sonder les mystères de l’existence.
Après avoir étudié auprès des maîtres chinois de la calligraphie, s’être plongée dans l’art des maîtres flamands et leur technique du glacis qu’elle adapte pour ses fonds, Fabienne Verdier s’intéresse aux grands maîtres florentins. Face à l’intensité de l’expérience intérieure vécue en découvrant l’annonciation de Piero della Francesca ou de Giotto, elle constate la désincarnation de l’art contemporain. De là naît la série des Retables exposée avenue Matignon, qui sacralise ce qui est actuellement devenu fragile, tels le chant de la cigale ou la fonte des glaciers. « Je commence ce travail qui va durer des années. C’est l’invention d’une liturgie quotidienne en dehors des dogmes religieux. » Ces nouvelles œuvres se forment là encore autour d’un rythme, celui de la nature que l’artiste observe quotidiennement. Le travail de Fabienne Verdier s’apparente à des extraits du réel. À chacun d’y voyager pour constater, peut-être, les liens, les intuitions, qui les relient au monde.
Fabienne Verdier
Retables à la Galerie Lelong & Co, Paris (3 espaces) jusqu’au 31 octobre