Omar-Jo, son manège à lui nous interroge sur la possible représentation de la guerre dans la mise en scène signée Anne Kessler de trois journalistes adaptant le roman d’Andrée Chedid. Une démarche intéressante.
Si cette pièce mérite le détour, c’est parce qu’elle nous parle d’enfance, de guerre et d’Andrée Chedid. Des trois nous avons besoin ; l’un parce qu’il est un sujet inépuisable, le deuxième parce qu’elle est devenue l’insoutenable quotidien d’une partie du monde, et la dernière, parce qu’elle est une écrivaine merveilleuse, bien trop rarement citée. Ainsi Omar-Jo. Pour avoir fait naître un personnage comme celui-ci, Andrée Chedid peut dormir tranquille.
Omar-Jo, bouleversant orphelin mutilé de la guerre du Liban imaginé par l’écrivaine dans les années 80 dans L’Enfant multiple, renaît par la rencontre d’un manège et de son propriétaire. Omar-Jo, fantasque et poète, est « un enfant universel » nous est-il dit très tôt dans la pièce écrite par Guy Zilberstein. Et c’est là toute la question qui va occuper nos trois personnages sur scène : journalistes et réalisateurs d’un podcast sur « les enfants de la guerre ». La trame située dans un studio d’enregistrement peut sembler un peu poussive : les trois, autour d’une table de radio, s’interrogent sur la manière de raconter cette histoire. Et la possibilité de faire de cet enfant imaginaire, le porte-voix des véritables victimes de la guerre. Mais au fur et à mesure, notamment par un jeu de scène virevoltant, les trois comédiens, Claire de La Rue du Can, Dominique Parent et Baptiste Chabauty, donnent vie au questionnement de la pièce : pourquoi a-t-on besoin de la littérature pour dire l’insupportable ? N’imaginez pas un débat esthétique car la pièce réussit à explorer avec nuances et complexité, et ce en à peine une heure, une question fondamentale : comment représenter l’horreur ?
Une archive projetée sur grand écran à la fin de la pièce, va nous faire connaître un autre orphelin de la guerre du Liban, bien réel celui-là, et la violence de son destin. Le contraste entre la poésie d’Andrée Chedid, et la brutalité de ce surgissement du réel, nous prend à partie sur notre possibilité de faire face à la violence du monde. Et, in fine, sur notre besoin des artistes, pour parvenir à supporter la matière dure de la réalité.
Omar-Jo, son manège à lui, de Guy Zilberstein, mise en scène Anne Kessler, Studio de la Comédie-française, jusqu’au 3 novembre