Avec  Aux Singuliers , série de monologues impeccablement mis en scène par Frédéric Fisbach, le Théâtre de la Colline nous fait découvrir dans un même élan des auteurs en herbe et de jeunes acteurs. À ne pas manquer.

Prenez de jeunes auteurs, de préférence âgés de moins de trente ans. Confrontez-les à des acteurs de la même génération. Placez le tout sous le regard d’un metteur en scène attentif – en l’occurrence, Frédéric Fisbach – à la fois pédagogue et intuitif. Et vous avez la recette de Aux Singuliers, suite de six monologues présentés en ce moment au Théâtre de la Colline à raison de deux par soir. À en juger par les deux premiers solos ouvrant la série, le projet remplit largement sa double promesse de révéler à la fois un auteur et un acteur. Maintenir pendant une heure l’attention du public n’est pas une mince affaire. La comédienne Lucile Roche y réussit avec brio dans Quand un pigeon a manqué de me crever l’œil ou comment j’ai essayé de faire quelque chose de Marie de Dinechin. 

Assise sur une chaise, les pieds dans une bassine, elle y campe à la perfection une enfant de quatorze ans en rupture avec son entourage. Elle parle du « brouillard » qu’elle a dans le ventre, de sa lecture de Marc-Aurèle et tente d’expliquer pourquoi elle se sent en décalage vis-à-vis du monde. Ses gestes, ses sourires, la façon dont elle plie et déplie ses jambes sur sa chaise en disent autant que les mots pourtant très justes de l’auteure. On devine peu à peu qu’elle a vécu un événement douloureux et n’a pas encore fait son deuil, comme on dit en termes freudiens. 

De cette étape qui précède le deuil il est aussi question dans D’ici jusqu’à l’heure de Thibault Kuttler, admirablement restitué par Nathanaël Rutter. Employé dans une piscine municipale, il répond au téléphone et délivre des billets d’entrée. On le voit exister sur deux plans, tantôt dans ses pensées occupées par le souvenir d’un ami récemment décédé, tantôt bienveillant et ouvert face aux usagers de la piscine. En montrant ainsi comment « la vie continue », selon l’expression consacrée – sauf que, en réalité, elle ne continue pas tout à fait comme avant –, ce monologue trouve l’équilibre parfait où l’émotion est d’autant plus prenante qu’elle est gérée avec retenue. Beau travail.

Aux Singuliers, six monologues interprétés par la jeune troupe, mises en scène Frédérich Fisbach. Jusqu’au 19 octobre au Théâtre de la Colline, Paris (75020).