Les écrivains anglais se sont toujours montrés doués pour les romans générationnels. Dans Absolute Beginners, traduit en France sous le titre Les Blancs-becs, Colin MacInnes croquait la jeunesse londonienne de la fin des années 1950. Dave Wallis (1917-1990), lui, s’est attaché à celle de la décennie suivante dans Only lovers left alive. Un livre culte publié en Grande-Bretagne en 1964 par Anthony Blond, éditeur atypique doté d’un flair certain puisqu’il édita notamment L’exorciste de William Peter Blatty, Myra Breckinridge de Gore Vidal, Les ambitieux d’Harold Robbins et des romans du trop méconnu et oublié Simon Raven. En France, la maison Stock en donna dans la foulée une version française, Seuls les amants survivent, sous une couverture pop au possible. Ce texte qui intéressa le cinéaste Nicholas Ray et les producteurs des Rolling Stones, Andrew Loog Oldham et Allen Klein, sans que leur projet aboutisse revient en librairie chez Sonatine dans une nouvelle traduction. On y découvrira une Angleterre dans un bien piteux état. Le ton est donné dès l’ouverture. Billy Oliver, professeur quinquagénaire d’un lycée de la banlieue ouest de Londres, communique à ses élèves le chiffre du nombre de suicidés chaque année. Avant de se donner la mort en sautant par la fenêtre. Le pays entier se retrouve décimé et part à vau-l’eau. En pleine crise et débâcle, avec des rues vides, des poubelles débordantes, des voitures abandonnées, des saccages. La tranche d’âge la plus touchée par cette vague massive de suicides est celle des quarante-cinq/cinquante-cinq ans. Les adolescents continuant quant à eux à traîner en bande, livrés à eux-mêmes, circulant en scooter et à moto au milieu du chaos ambiant. Dave Wallis s’attache à celle de Seely Street. Dans ses rangs, on distingue Kathy Williams, Charlie Burroughs, Robert Sendell et Ernie Wilson qui va en prendre la tête. Sous sa plume, on navigue dans une cité de plus en plus étrange et sinistrée. Un système de troc apparaît, avec des marchands de rue. Les cercles de bingo deviennent d’abord le centre de la vie économique locale, et l’un des rares lieux de rencontre entre les jeunes et les vieux qui ont survécu. La bande de Seely Street n’est pas la seule ici. Celle des Royaux possède son lot d’esclaves et tient le château de Windsor. Leur affrontement sera terrible et sanguinaire. Plus loin encore, certains prendront la route et se dirigeront vers le nord pour tenter de survivre et échapper aux maladies qui se propagent… On a pu comparer cette étonnante dystopie qu’est Only lovers left Alive à L’orange mécanique d’Anthony Burgess et à Sa majesté demouches de William Golding à cause de sa violence et de son nihilisme. Mais le roman de Dave Wallis diffuse sa propre musique et produit ses lectures propres. Les deux restants longtemps gravés dans la mémoire.

Dave Wallis, Only lovers left alive, traduit de l’anglais par Samuel Sfez, Sonatine, 208 p., 21, 50€