Le jeune lauréat du prix Max-Jacob 2024 Guillaume Decourt signe un bref recueil de proses poétiques, Un temps de fête, qui tiennent à la fois de l’aphorisme et du calembour.

Guillaume Decourt est un garçon à la page : chacune des petites proses d’Un Temps de fête occupe en effet le tiers d’une page, titre inclus ; de toute évidence, il s’est imposé cette contrainte comme d’autres s’imposent celles du sonnet ou du haïku. Les éditions de La Table Ronde présentent le recueil de ces fragments parfaitement calibrés (350 à 400 signes, espaces compris) comme une « poésie », ce que confirme la couverture bleu gris du livre, couleur que la maison réserve à cette catégorie, mais ils s’inscriraient mieux dans un genre en vogue où l’aphorisme frivole et désabusé se déploie dans un phylactère comme dans les vignettes de comic strips détournés de Gabriela Manzoni. Au printemps dernier, l’écrivain et critique Thierry Clermont nous en avait déjà proposé un recueil, J’ose m’exprimer ainsi, fruit de « dix-sept ans de voyages et de flâneries », préfacé par Chantal Thomas et paru chez Rivages; et le philosophe Frédéric Schiffter nous en offre de plus savoureux encore sur son blog ou sur son compte Facebook, qu’il nomme « incipits sans suite ». Moins raffinés, plus ostensiblement populaires, les syllabes des phrases se prêtant au martellement d’un rythme obsessionnel (un rappeur les mettrait volontiers en musique), ceux de Guillaume Decourt sont des récits condensés dont l’idée se traduit parfois avec bonheur par une image animée et pertinente : « Si je me noie demain, que je repose tout au fond la main posée sur une amphore, je formule cette requête : qu’aucun archéologue à venir ne sépare le bijou du squelette. »

C’est surtout le ton de ces brèves proses poétiques qui vous interpelle ; on se figure la frimousse espiègle d’un gamin venant de chaparder une pêche sur l’étal d’un marchand distrait pour la déguster goulûment, le jus dégoulinant sur son menton glabre. Un gamin dont nous touchent la tendresse (« Une fois que la carpe se convulsait sur la berge, il l’achevait en lui éclatant la tête avec une boule de pétanque ») et la retenue (« Tandis que nos bonobos roupillent, nous éteignons les lumières et dansons la séguedille en silence dans le corridor »). Et Decourt de préciser, dans la même veine : « Je suis de la vieille école. De la Metro-Goldwyn-Meyer. Du western spaghetti et du tiramisu. De Fort Knox et du pactole. Je suis de l’indépendance des fesses et des jolis dessous. »

         Ce jeune poète (il n’a pas quarante ans), auteur des Heures grecques et du Cargo de Rébétika, est aussi helléniste, ou du moins, comme il le suggère, marié à une Hellène, avec qui il a eu des jumeaux dont il est souvent question dans Un Temps de fête. Au demeurant, chacun de ses borborygmes, comme les aurait qualifiés Valery Larbaud, est une tesselle biographique ; si l’on essayait d’en recomposer la mosaïque, on découvrirait sans doute une fresque naïve, pareille à celles dont le peintre Theóphilos Hadjimichaíl, originaire de Mytilène, avait décoré sa maison du Pélion, au nord de Vólos. Elle se distinguerait par ses couleurs : rose poussière, moutarde, pistache et bleu pélagique.

Un Temps de fête de Guillaume Decourt disponible aux éditions La Table Ronde 96 p., 14 €