Marc-Antoine Coulon qui, tous les mois, met la sensibilité si personnelle de son talent de portraitiste au service des couves de Transfuge, a jeté les yeux sur une étoile. Sur l’étoile la plus brillante du septième art : Catherine Deneuve. Et, ébloui, il a su restituer, avec cette intuition de coloriste, cette décision dans le dessin, la mystérieuse lumière qui émane de l’astre-Catherine. Il a bien voulu nous dire quelques mots de son livre…
Votre livre prend la forme d’une lettre d’amour, dont les paragraphes ponctuent la galerie des portraits de Catherine Deneuve. Il est aussi question d’« amour courtois »…
On raconte aussi bien avec des images qu’avec du texte, et je voulais que les images racontent aussi bien que le texte, que les deux soient à égalité, solidement liés à l’un à l’autre. Quant à l’amour courtois, on a l’impression, avec Catherine Deneuve, et les femmes qui sont ainsi magnifiées, qu’il y a un tas de règles qu’on n’apprendra jamais, mais qu’il faut savoir deviner. Des règles secrètes pour pouvoir les approcher, leur parler. Tout le monde sait comment s’adresser à Catherine Deneuve – personne ne l’apprend.
On pourrait même invoquer les traits distinctifs de l’amour dans sa version romantique : l’artiste et sa Muse, l’homme et la déesse…
Complètement, Mais c’est un jeu, car je la crois extrêmement concrète, plus terrienne que déesse : ce sont ses films, ses apparitions, tout ce qu’il y a autour d’elle qui la déifient. Et dans ce jeu – un jeu inégal : c’est forcément désespéré que de vouloir par ses dessins plaire à Catherine Deneuve et entrer dans son champ de vision – je trouvais ça amusant d’adopter une démarche d’humilité, de ne pas entrer en compétition avec tous les grands noms qui l’ont déjà peinte, photographiée, filmée… Le combat aurait été perdu d’avance.
Il y a dans nombre de vos portraits quelque chose comme un équilibre dynamique entre le plein et le vide, entre l’intensité chromatique et le blanc. On retrouve là un peu de cette dualité entre l’aspect concret et le mythe dont vous parliez…
A la fin des années 80, le slogan du parfum Deneuve était : « Peut-être ne pas tout dire, peut-être pas à tout le monde. » Et ça lui correspond bien. Mais c’est un penchant qui m’est naturel, l’utilisation de ce que les Américains appellent « l’espace négatif » – le fait de laisser de la place à la feuille blanche, pour que le vide en dise autant que le plein. Je trouve ça très érotique de laisser de la place à celui ou celle qui va regarder le dessin, pour le remplir de son propre fantasme. J’ai toujours été très déçu quand dans un roman, on nous dit que l’héroïne est sublime, que j’ai commencé à me faire mon cinéma et ma propre image mentale, puis qu’on la décrit très précisément, qu’on dit qu’elle était rousse, les cheveux frisés… Il y a beaucoup d’artistes qui cherchent à mettre à nu les âmes et à montrer de la manière la plus crue possible à quoi ressemblent les icônes, de façon brutale et sans concession. Ce n’est pas du tout, absolument pas du tout, mon propos. Je voulais donner à voir dans ce livre cette magie qui entoure Catherine Deneuve – magie qu’on crée probablement avec tous les fantasmes qu’on projette sur elle. Mais le reste lui appartient, et je ne suis pas sûr que ce reste soit si intéressant que ça. Car, comme dans toute vie privée, il y a des choses qui n’ont pas d’intérêt particulier, ou en tout cas qui ne méritent pas d’être partagées avec le plus grand monde. Dans le principe, finalement, j’en dis beaucoup plus sur moi que sur elle…
Et ce que le livre dit sur vous, par exemple, ce sont « vos » films de Catherine Deneuve, ceux qui ont le plus contribué à créer votre image de l’actrice… Vous parlez de films « mineurs », comme Manon 70, mais il y en aussi qui font pleinement partie de la grande histoire du cinéma…
Parmi eux, il y a indéniablement Le Dernier Métro, que je peux regarder dix-huit fois dans l’année, sans m’en lasser. Ou encore Peau d’âne que je connais par cœur. Vraiment, ma passion absolue pour Catherine Deneuve, c’est sa production du milieu-fin des années soixante, de Belle de jour à Peau d’âne.
« L’image de Belle de jour est très forte, immense, dévorante… », écrivez-vous justement… Qu’est-ce qui la rend telle ?
J’ai l’impression qu’on continue à lui en parler systématiquement, en attendant d’elle qu’elle dise « oui, je suis Belle de jour ». Ce qu’elle ne dira jamais, bien sûr, car elle n’est pas Belle de jour. Mais il me semble qu’il y a une forte identification à cette femme bourgeoise habillée en Yves Saint Laurent et chaussée en Roger Vivier. Et puis c’est une image très forte, même du point de vue de la mode. Roger Vivier a un modèle Belle Vivier, qui est la réplique exacte des chaussures qu’elle portait dans le film ! C’est un peu comme Delphine Seyrig, à jamais identifiée avec son personnage de A dans Marienbad : on sait que Catherine Deneuve sera toujours associée au personnage du film de Buñuel.
La mode, vous la connaissez bien en tant qu’illustrateur. Ces portraits de Catherine Deneuve doivent-ils quelque chose à l’exercice si particulier de l’illustration de mode ?
Très certainement, même si ça m’échappe un petit peu. Dans l’illustration de mode, contrairement aux autres modes d’illustration, on attend de l’artiste qu’il aille à l’essentiel. Qu’en quelques traits, il donne la structure d’un vêtement. On n’attend pas du tout qu’il cherche à concurrencer le photographe. Je trouve ça intéressant comme démarche, car elle redonne toute sa noblesse au dessin. J’ai tendance à penser qu’on se fourvoie toujours quand les photographes tentent de faire de l’illustration et les illustrateurs de la photographie. J’aime que le dessin ne s’excuse pas d’être dessin.
Restons dans les images, mais dans celles qui entourent Catherine Deneuve. Ne pas entrer en compétition, m’avez-vous dit plus tôt, mais il y a quand même dû avoir des interférences – des moments où il a fallu lutter pour affirmer votre regard propre face à tant de réminiscences visuelles ?
Absolument ! C’est toute la difficulté lorsqu’on est dessinateur et qu’on ne travaille pas avec un modèle vivant. On est obligé de s’inspirer de choses déjà existantes, mais d’en faire malgré tout une image inédite. Chaque dessin a été un travail minutieux pour créer une image qui n’existait pas déjà. Même quand la référence est un film qui existe, la photo telle quelle n’existe pas. Et quand on s’appelle Marc-Antoine, c’est un travail particulièrement prenant que de rendre à César ce qui est à César !
Marc-Antoine Coulon, Catherine Deneuve, reflets, Le Cherche midi, 208 p., 39€