L’Opéra national de Bordeaux accueille en création mondiale l’opéra Les Sentinelles. On ne peut que saluer le choix d’une grande maison d’accueillir l’opéra d’une jeune compositrice, Clara Olivares, porté par une jeune équipe. Elles nous plongent dans un huis-clos féminin autour d’une enfant. Une très belle distribution.

C’est l’histoire de B et C, deux femmes qui se tournent vers A, une troisième, pour tenter de sauver leur couple. Au milieu de ce trouple lesbien se trouve E, fille surdouée de A qui l’abrutit de médicaments. Les sentiments contradictoires s’entremêlent. Qui a besoin de qui, qui doit être aimée par qui ?  C’en est fini de la logique manichéenne : la complexité des relations affleurent ; et l’on cherche à trouver un juste équilibre.

La musique accompagne avec force les dialogues, même si parfois elle peine à les dépasser. Dans la fosse, l’Orchestre national Bordeaux Aquitaine dirigé par Lucie Leguay, fait preuve de précision. Les décors frappent :  Céleste Langrée met en place une scénographie du « quotidien », parfois hypnotique, toujours belle, et c’est entre les meubles, un phasme et un « prédicteur de temps » qu’évoluent les personnages. Les décors et costumes sont issus du recyclage, ce qui ne fait qu’ajouter à leur intérêt dans un monde lyrique qui est en train de réfléchir de plus en plus à sa responsabilité écologique. L’engagement vocal des chanteuses est remarquable. Dans le rôle de A, mère en mal d’amour, brille Anne-Catherine Gillet. La soprano traduit l’horreur glaçante de la réalité qui l’entoure et associe puissance et fragilité. Face à elle, malgré un soprano très fluide, Camille Schnoor convainc moins dans le rôle tristement comique de C, qui nous fait préférer ceux qu’elle a tenus dans des oeuvres plus dramatiques comme Luisa Miller ou Madame Butterfly. Plus persuasive par son timbre et la justesse de son interprétation, Sylvie Brunet-Grupposo incarne la figure responsable de B. On la trouve si formidable qu’on regrette qu’elle ne soit pas plus mise en avant. Quant à l’actrice Noémie Develay-Ressiguier dans l’enfant E, c’est une révélation. Elle capte, sans chanter, l’attention par un propos fort et son naturel impressionnant. Si le public se montre charmé, ou désarçonné, il apprécie la finesse de la réflexion proposée par ce tableau de trois femmes qui disent « je t’aime » parce que c’est plus court que « je ne t’aime plus ».

Les Sentinelles de Clara Olivares, mise en scène Chloé Lechat, Lucie Leguay à la direction musicale,  Opéra de Bordeaux, 14 novembre https://www.opera-bordeaux.com/