De Bruno Geslin à Patricia Allio en passant par le duo Gareth Clark et Jonny Cotsen et celui de Charlotte Clamens et Valérie Mréjen, c’est une bouffée d’air frais qu’offre la première semaine de cette édition du Festival du TNB à Rennes.
« Il lui semblait qu’il dût laisser pénétrer l’orage en lui et accueillir toutes choses, il s’étirait et s’étendait par-dessus la terre, il s’enfonçait dans l’univers : cette volupté lui faisait mal. » Ces mots de Georg Büchner dans Lenz, il semble que Werner Herzog devait d’une façon ou d’une autre les avoir à l’esprit durant son périple de neuf cents kilomètres qui, en novembre 1974, le mena à pied de Munich à Paris. Cette épreuve, on pourrait presque dire cette « folie », il se l’était imposée dans l’espoir de sauver son amie, l’historienne du cinéma Lotte Eisner atteinte d’un cancer. De ce parcours, Bruno Geslin restitue à la fois les affres et les émotions puissantes dans Sur le chemin des glaces, création inspirée du livre d’Herzog où, après avoir effectué le même trajet aux côtés du comédien Guilhem Logerot, il invente dans l’espace de la scène un dispositif mêlant jeu, texte, musiques et images donnant à éprouver les temps forts de ce qui est peut-être avant tout une aventure intérieure.
Présentée dans le cadre du festival du TNB à Rennes cette création tranchait quelque peu avec d’autres œuvres découvertes lors de la première partie de cette édition. Et pourtant il est aussi question d’exploit dans Louder is not Always Clearer de Gareth Clark et Jonny Cotsen. Fort d’une extraordinaire présence scénique, ce dernier nous explique qu’il « trouve les mots difficiles ». Sourd de naissance, mais doté d’une opiniâtreté farouche, il nous confronte non seulement à ce que cela signifie de ne pas entendre les autres, mais aussi à la façon dont il a triomphé de son infirmité en dépassant ses limites. « Sourd. Pas stupide ! », insiste-t-il, après avoir raconté avec brio son itinéraire hors du commun. Parlant parfois dans un micro, mais s’exprimant surtout, soit par gestes, soit par le biais d’un ordinateur en tapant son texte reproduit sur un écran, il réussit à faire chanter le public en langue des signes ! Un exploit.
D’exploit, il est aussi question, mais de façon autrement ironique dans Comment se débarrasser de son crépi intérieur de Charlotte Clamens et Valérie Mréjen. Assises face à face aux deux bouts d’une table, la comédienne et la plasticienne installent une atmosphère minimaliste où chaque détail, chaque geste, prend un relief incongru et le plus souvent très drôle. Comme si elle jouait son propre rôle, Charlotte Clamens raconte une série de catastrophes mineures qui lui sont arrivées, tandis que Valérie Mréjen prend des notes sur un ordinateur. À l’effet comique de l’accumulation des catastrophes vécues par l’actrice, s’ajoute le fait que son interlocutrice pose régulièrement des questions à contretemps. On pense parfois à la relation entre un patient et son psychothérapeute. Sur un mode plus léger bien sûr ; même si plane toujours l’ombre d’une vague incertitude qui fait le piquant de cette performance à l’humour délicieux.
Enfin avec Habiter, création de Patricia Allio jouée par Pierre Maillet, c’est à une conférence que le public est convié. Précisons que le conférencier officie dans le plus simple appareil, du moins quand il n’est pas abrité sous une tente. Son enseignement consiste à déconstruire le verbe « habiter », dans lequel on peut notamment lire les mots « habit » et « bite »… Inspiré de La grammaire logique de Jean-Pierre Brisset assaisonné d’un zeste de lacanisme, cette performance cocasse portée par un Pierre Maillet dans une forme éblouissante dérive, via la permutation des lettres, d’un sujet à l’autre abordant, entre autres, les questions des migrants ou du genre – avec au passage un numéro irrésistible de l’acteur en Giorgia Meloni –, le tout dans un feu d’artifice d’interprétations d’une liberté absolue aussi folle que jubilatoire.
Sur le chemin des glaces, d’après Werner Herzog, mise en scène Bruno Geslin.
FESTIVAL OVNI THÉÂTRE 71 SCÈNE NATIONALE MALAKOFF 28, 29 novembre
L’ESPACE PLURIEL SCÈNE NATIONALE PAU 30 janvier
SCÈNE NATIONALE D’ALBI – TARN 5, 6 février
LE TANDEM SCÈNE NATIONALE ARRAS DOUAI 26, 27 mars