Dans « Six pieds sous ciel – chœur – », le poète et compositeur met en voix et en rythme, avec la complicité de trois actrices formidables, la rumeur du monde contemporain. Et ce n’est pas triste.
Entendre des voix ça arrive à tout le monde ; pas besoin d’être fou ou illuminé. En nous et autour de nous, ça bruit, ça parle dans tous les sens. Il y a d’abord cette voix intérieure, la nôtre. Et puis il y a tous ces messages, ces informations, ces signaux sonores dans lesquels nous baignons quotidiennement et qui, d’une manière ou d’une autre, nous imprègnent. Cette interaction entre le flux ordinaire de nos pensées et les assauts répétés du brouhaha extérieur, Jacques Rebotier la restitue en projetant dans l’espace de la scène trois protagonistes équipées de valises à roulettes merveilleusement interprétées par Anne Gouraud, Aurélia Labayle et Emilie Launay Bobillot. À la fois actrices et musiciennes, elles donnent à cette partition pour trois voix et une bande-son préenregistrée une énergie aussi comique qu’électrisante. Prises dans un mouvement perpétuel, leurs cerveaux bien visibles s’illuminent parfois quand ils ne deviennent pas tout rouges au bord de la saturation. Il faut dire qu’elles sont constamment sollicitées, reproduisant tantôt des lambeaux de phrases glanées ça et là, ou au contraire réagissant à ce qu’elles entendent : messages audio, autocongratulations d’hommes politiques, tel ce ministre qui a « sauvé l’économie française », commentaires sportifs, arguments de ventes… Mené à bon rythme, sans temps morts, cette mini symphonie finement ouvragée offre un précipité du monde contemporain d’une drôlerie irrésistible. Une perle rare de théâtre musical et poétique dont l’ironie distanciée offre un point de vue à la fois léger et pertinent sur notre époques quelque peu tourmentée.
Six pieds sous ciel – chœur –, de et par Jacques Rebotier. Jusqu’au 24 novembre au théâtre de la Colline, Paris (75020). Puis du 22 au 24 janvier 2025 au Châteauvallon-Liberté – Scène nationale de Toulon (83).