La comédie musicale Les Misérables de retour en France, sur la musique de Claude-Michel Schönberg et dans une mise en scène de Ladislas Chollet, nous plonge dans la passion hugolienne. 

Par Oriane Jeancourt Galignani

Que vaut le spectacle le plus attendu de l’automne 2024, la comédie musicale la plus vue de tous les temps ? Ces Misérables qui connurent leur plus grand triomphe outre-manche, réussiraient-ils leur retour en France, et en français ?  Les questions taraudaient le public et la critique depuis des semaines, nous voilà enfin en mesure de répondre : eh bien au risque de ne pas surprendre, avouons que ces Misérables tiennent leurs promesses. Chanté de bout en bout, ce spectacle grandiose et juvénile, tour à tour drôle ou poignant, offre la joie à un public qui connaît déjà toutes les chansons, et applaudit à presque toutes les scènes. Ainsi dès le premier tableau, découvre-t-on le bagne qui retient Jean Valjean parmi ses pairs, dans une scénographie réduite à l’essentiel, qui permet de faire vivre le monde obscur où notre héros a perdu vingt ans de sa vie, pour avoir, répètera-t-il plusieurs fois au cours du spectacle, volé du pain pour nourrir un enfant. Crime de misère ou misère du crime, qui annonce déjà le drame bouleversant de Fantine. Suit la fameuse scène des chandeliers chez le prêtre qui permet de prendre la dimension de ce personnage inouï qu’est Valjean, et de son interprète Benoît Rameau. Pourvu d’un nom comme le sien, le ténor se devait d’offrir un souffle lyrique à l’ensemble : il y parvient et déploie une dimension et une profondeur qui à plusieurs reprises lui donnent des résonances à la Puccini. Et ce dans les textes simples, et accessibles à tous, signés Alain Boubil. Ainsi de cette chanson où le héros prend l’engagement d’être à la hauteur de l’humanité du prêtre. Ou à la mort de Fantine, lorsqu’il décide, en une seconde renaissance, de devenir le père de Cosette. La comédie musicale mise sur la nature de Valjean, un héros bigger than man, qui aurait pu appartenir au panthéon anglo-saxon : doté d’une force surhumaine, il est à la fois rusé et sincère, combatif et sentimental, moral et libre. Hugo ne créera plus de personnage comme celui-ci après Les Misérables : modèle d’homme du peuple à suivre pour nous tous. Mais Valjean n’est rien sans son histoire et ses personnages légendaires. Étrangement, Benoît Rameau ressemble physiquement à Sébastien Duchange qui joue Javert, ce qui donne un sentiment intéressant de gémellité entre ces deux hommes qui consacrent leurs existences à s’affronter. Même si Sébastien Duchange n’a pas la virtuosité de Rameau, il fait preuve d’une présence théâtrale forte, jusqu’à sa fin subtilement mise en scène dans les ombres d’un Paris crépusculaire. Car Ladislas Chollet a choisi une mise en scène qui n’écrase en rien les chanteurs, mais au contraire réussit, par un habile jeu de rideaux et de vidéo, à donner à ses scènes une ampleur et un léger trouble. Les décors, s’ils demeurent classiques, permettent d’identifier les lieux et les enjeux de chaque scène : ainsi de la  barricade érigée dans la rue de Paris qui permet aux scènes de groupe de se déployer avec finesse. Parmi les chanteurs, retenons deux femmes :  Claire Pérot qui offre une Fantine délicate, et Océane Demontis qui permet au personnage d’Eponyne, à qui la comédie musicale donne une histoire forte, d’offrir une complainte touchante de mal-aimée refusant de se laisser éteindre par la misère. C’est bien là l’essence de ce que raconte Hugo dans ce roman immense, et que la comédie musicale transmet, tout en se pliant à tous les codes du genre : la révolte des misérables face au destin qui les écrase. Lorsqu’à la fin du spectacle, toute la salle est debout, enfants et adultes, à applaudir sans fin, on ne peut que s’incliner aussi face à la liesse d’un public reconnaissant son plus grand écrivain.  

Les Misérables, Livret d’après le roman de Victor Hugo d’Alain Boubil, musique Claude-Michel Schönberg, direction musicale Alexandra Cravero/ Charlotte Gauthier, mise en scène Ladislas Chollat, Théâtre du Châtelet, jusqu’au 2 janvier 2025.