C’est une version gothique, pétillante et superbement portée de la Cenerentola qui vient d’être créée à l’Opéra de Nancy, dans une mise en scène de Fabrice Murgia. 

Une Cendrillon maquillée en Mercredi Adams, perchée sur des talons compensés et aux cheveux verts se révèle être l’héroïne de cette nouvelle version du petit chef-d’œuvre de Rossini. Et pourquoi pas, Cendrillonn’est-il pas un conte des apparences ? Ou plutôt de la falsification des apparences ? C’est en tout cas ce que semble être la conviction de Fabrice Murgia tant il offre une lecture décalée, aussi délirante que rafraîchissante de ce dernier opéra-bouffe de Rossini composé, et cela n’a pas échappé à Fabrice Murgia, pour le carnaval de Rome en 1817. C’est donc une Cendrillon carnavalesque qu’il nous offre à sa manière. Nous connaissions le metteur en scène belge en théâtre, sur des sujets graves et d’époque, comme récemment à Avignon la pièce Aaron sur un cyberactiviste. Nous savions aussi qu’il était cinéphile, ayant travaillé lui-même pour le cinéma, notamment en tant qu’acteur. Nul hasard donc qu’il choisisse une approche résolument contemporaine de l’opéra de Rossini. L’idée est simple, transformer le conte de Perrault en nuit grotesque, peuplée de créatures empruntées, explique le metteur en scène dans le programme, à Tim Burton et au cinéma de genre. Mais si les monstres viennent donner aux chœurs l’allure des danseurs de Thriller, les jeux de masques sont aussi là pour mener, au rythme fou de Rossini, un jeu de dupes.  Car là est le nœud de cette comédie douce-amère :  faire tomber les masques, des sœurs et du père de Cendrillon, du prince déguisé en laquais, et enfin de la fille couverte de cendres. Faire vaciller enfin une société d’hypocrites qui se prête aussi bien au siècle de Perrault, qu’à celui de Rossini ou du nôtre. Dans ces lieux de faux-semblants et de farce sociale, nous sommes proches bien sûr du Barbier de Séville.  dont Et dans la musique, se confondent parfois à l’écoute Le Barbier et la Cenerentola, à certains moments de chœur et de virtuosité collective qui font de ces opéras-bouffes des lieux uniques de joie et d’extase musicale. 

Et pour ce Rossini-là, qui fut, souvenons-nous en, le compositeur le plus célèbre dans l’Europe du début du XIXe siècle, il faut une équipe de chanteurs aussi rigoureux, que doués d’un talent comique et d’un sens de la vitesse rare.

Les deux sœurs surgissent les premières, tenant leurs Iphones en miroirs, au gré d’un narcissisme très 2.0.. Quelque temps plus tard, elles feront fureur en latex rouge, ou unies l’une à l’autre en siamoises de film d’horreur. Saluons le talent des sopranos Héloïse Poulet et Alix Le Saux qui tiennent leurs rôles de similies Kim Kardashian, tout en maintenant dans leurs chants la fluidité rossinienne. Dans une veine plus attendue, le père, Gyulia Nagy en beauf brutal pourrait être échappé d’un Dino Risi, la cruauté italienne à son maximum, qu’il allie à un chant somme toute bien tenu. Ces trois-là, en infatigables Thénardier burlesques, épousent au mieux une mise en scène qui propose de nouveaux tableaux à chaque instant. Face à eux, le prince et sa cour s’en sortent plutôt bien dans un jeu plus cinématographique.  Tout au long, des caméras filment des détails reproduits dans un miroir rond, au-dessus des chanteurs. Ces images parfois nous échappent ou nous distraient de la musique, saturant cette mise en scène d’un excès de références et de signification. Mais nous l’oublions, tant nous sommes aimantés par la soprano Beth Taylor qui est à l’évidence l’héroïne du spectacle. Elle nous retient par son chant puissant qui suspend la salle à son souffle, notamment dans le dernier acte, en un superbe final de réconciliation. Mais aussi en incarnant de manière neuve ce personnage de Cenerentola, devenue grâce à elle et au parti-pris de Murgia une figure presqu’archaïque dans son refus de toute fragilité. Fille malmenée par l’existence qui permet à la joie de ceux qui l’entourent d’emporter le ressentiment. Nul doute que cette Cenerentola offre une image neuve de notre chère Cendrillon.

La Cenerentola de Rossini, direction musicale Giolio Cilona, mise en scène Fabrice Murgia, Opéra National de Lorraine, jusqu’au 22 décembre, https://www.opera-national-lorraine.fr/fr/