Avec Le Sang du glacier, œuvre itinérante crée au Théâtre du Point du Jour par l’Opéra de Lyon, Claire-Mélanie Sinnhuber et Lucie Vérat-Solaure signent une œuvre dystopique sur fond de réchauffement climatique.

En blouse blanche, les cheveux protégés par une charlotte et les mains par des gants, Sofia se livre à quelque expérience en laboratoire consistant à mélanger des substances liquides. Une image vidéo projetée sur un tulle expose en gros plan l’évolution de ses recherches. Des taches de couleurs variées se déploient comme des virus luttant les uns contre les autres. À travers ces images apparaît de temps à autre la silhouette d’un homme vêtu comme pour une expédition en montagne. C’est un glaciologue, il s’appelle Matteo. Interprété par le baryton Mathieu Dubroca, il communique avec sa sœur, Sofia – la soprano Charlotte Bozzi –, ingénieure hydraulique concentrée sur ses éprouvettes, par le biais d’un téléphone portable. 

Ces dialogues chantés entre un frère et une sœur, engagés dans des espaces et des situations différents, donnent la mesure de ce qui se trame dans Le Sang du glacier, opéra de Claire-Mélanie Sinnhuber sur un livret de Lucie Vérat-Solaure dont la mise en scène d’Angélique Clairand restitue avec beaucoup d’ingéniosité les enjeux dramatiques. Le père de Sofia et Matteo est mort, il y a longtemps, englouti par un glacier. Avec le réchauffement climatique, le glacier fond libérant peu à peu les cadavres qui y étaient prisonniers, dont celui de leur père. Mais un phénomène encore plus troublant se manifeste : envahi d’algues rouges, le glacier semble pleurer du sang. Bientôt les rivières et le fleuve en aval sont pollués et il n’est plus possible de boire l’eau du robinet. La scénographie très picturale conçue par Stephan Zimmerli concentre dans un cadre relativement serré tous les espaces en jeu dans cette lutte désespérée contre une contamination générale. Le glacier est présent, mais sous forme réduite dans un aquarium au sein du laboratoire dont le carrelage s’étend non seulement sur le sol, mais aussi en projection sur le tulle qui sépare le plateau dans la largeur. 

Derrière ce mur plus ou moins transparent selon l’éclairage, on distingue l’orchestre, en l’occurrence un trio composé de Mélanie Brégant à l’accordéon, Rose Pollier Méliodon à la harpe et Lila Beauchard au violoncelle. Le fait que les instrumentistes soient intégrées au cœur même de la scénographie dans une position légèrement surplombante de surcroît accentue leur présence au sein du drame où elles jouent en quelque sorte le rôle du chœur. Rôle plutôt ironique, puisqu’il consiste notamment à se lever pour brandir des téléphones portables en disant « On a fait de super photos » – du glacier, évidemment. Leurs mots sont scandés. De même que les parties vocales des deux chanteurs empruntent parfois au sprechgesang un peu comme dans Pelléas et Mélisande de Debussy. D’une manière générale, les parties instrumentales très rythmées voire répétitives, où se mêlent par instants des sonneries de smartphones, contribuent à maintenir une tension dramatique sans pour autant la surcharger d’effets. La double quête du frère et de la sœur, Matteo en route avec son équipement pour trouver l’origine de la contamination qui envahit le glacier, tandis que Sofia étudie l’algue rouge dans son laboratoire, est parfaitement rendue par le procédé qui consiste tantôt à les isoler, tantôt à les faire entrer en communication. Le tout dans sa forme ramassée d’opéra miniature est une vraie réussite où, en dépit de l’urgence et de l’angoisse de ce qui est en jeu, dominent une grâce et une vivacité qui ne sont pas pour rien dans le charme et l’élégance de cette œuvre impeccablement interprétée.

Le Sang du glacier, de Claire-Mélanie Sinnhuber, livret de Lucie Vérat-Solaure, mise en scène Angélique Clairand. En itinérance à Lyon et en Auvergne-Rhône-Alpes jusqu’en mars 2025. Plus d’infos sur www.opera-lyon.com