Pour ouvrir le centenaire du compositeur qui fera l’objet d’une riche programmation toute l’année, l’orchestre a donné le 6 janvier un concert exceptionnel, dont le chef d’œuvre électroacoustique, Répons.

C’est une soirée hors du commun que celle qui vient d’ouvrir le centenaire de Pierre Boulez, un de ces moments qui permettent à l’histoire de la musique de reprendre vie, in medias res. Ainsi l’Ensemble Intercontemporain, fondé par Pierre Boulez en 1976, se devait d’ouvrir les festivités d’une année musicale qui, de la Philharmonie à l’Opéra de Paris, sera largement tournée vers le compositeur et chef d’orchestre français. Et disons-le d’emblée, l’Ensemble a magnifiquement accompli cette entrée de jeu. A leurs côtés, l’Ircam, fondé par Pierre Boulez en 1977, permettait à cette soirée, et surtout à la recréation de Répons, qui en fut le sommet, d’avoir lieu. C’est dire si dans la salle Pierre Boulez, l’ombre du maître planait.

L’Ensemble entra tout d’abord en scène, mené par Pierre Bleuse, élégant dans des chaussures scintillantes et un air débonnaire à la Debussy, qui n’estompait en rien la précision de sa direction, pour jouer deux œuvres emblématiques de BoulezDans un silence religieux, le public écouta le violoncelliste Jean-Guihen Queyras interpréter Messagesquisse,  œuvre des années 70, tendue et viscérale, face à six violoncellistes, qui, en esquisse comme le promet le titre, donne à percevoir le rythme furieux qui peut traverser l’œuvre de Boulez. Puis, comme jouant avec notre montée d’adrénaline, l’Ensemble a proposé En blanc et noir de Debussy : deux pianos, l’un joué par Pierre-Laurent Aimard, incontournable dans cette soirée Boulez, et l’autre par Hidéki Nagano, figure majeure de l’Ensemble, nous plongeaient dans ce ravissement océanique et joueur du compositeur qui écrivait ça en 1915, dix ans avant la naissance de Boulez. De Debussy, qui semble a priori si éloigné de lui, Boulez admirait la liberté : « Debussy repousse toute hiérarchie qui ne se trouve pas dans l’instant musical. » écrivait-il. Un refus de limites qu’il fait sien, dès son plus jeune âge, comme en témoignait hier l’œuvre suivante, Sonatine, la plus ancienne œuvre de Boulez jouée là, et composée alors qu’il n’avait que vingt et un ans. Pierre-Laurent Aimard, au piano, répondait à la flûtiste Sophie Cherrier, dans cette œuvre qui, si elle est affiliée à Schönberg, traduit un sens du jeu qui ne renie en rien Debussy.

Pour conclure ce premier moment, la jeune compositrice britannique Charlotte Bray présentait une création intitulée Nothing ever truly ends, inspirée par un roman que nos lecteurs connaissent bien, American Mother de Colum McCann, qui pouvait résonner, dans une certaine mesure, avec l’héritage de Boulez.

Le cultissime Répons

Autour de moi dans la salle à l’entracte, chacun racontait ses « Répons » : certains, comme mon voisin, le voyait pour la neuvième fois, car Répons est l’exemple même de l’œuvre culte. D’autres, comme ce grand-père et son petit-fils le découvraient, émus. Tous savaient que l’Ensemble Intercontemporain, qui le créait en 1984, et certains musiciens de la création étaient présents, joueraient cette œuvre comme nulle autre pareille. Répons non seulement repense la disposition spatiale de l’orchestre tout autour du public, et implique une direction virtuose, mais s’avère aussi l’une des plus puissantes et des premières œuvres électroacoustiques composées ces cinquante dernières années. Pensée en prolongement de Monteverdi et de la musique de la Renaissance, la remodulation de l’orchestre, dont une harpe et un glockenspiel, crée le sentiment d’être placé dans une cathédrale. Les résonances, de la spatialisation et de l’électronique, retiennent l’auditeur dans une furie magistrale, un océan musical inouï. Le wagnérien Boulez, avec Répons, prolongeait dans cette œuvre une force musicale frappante. Et Pierre Bleuse, dirigea de bout en bout avec une passion visible. A la fin du spectacle, l’Ensemble, les solistes, Pierre Bleuse furent acclamés par le public pendant de longues minutes. Pierre Boulez, du haut de ses cent ans, se voyait déjà ressuscité.

Le concert sera diffusé sur France Musique le 22 janvier et sur Arte Concert le 7 mars.