Céline Laguarde s’était imposée au début du XXe siècle comme une figure internationale du pictorialisme. Le musée d’Orsay sort son œuvre d’un siècle d’oubli.

La redécouverte, d’autant plus en histoire de l’art, est toujours synonyme de grande satisfaction. Redéployer à la vue des trésors demeurés cachés, mettre en lumière une œuvre en partie occultée, tels sont les privilèges des chercheurs aguerris dont le labeur permet de modifier le cours des historiographies … Du Pictorialisme français, l’on retenait surtout les figures de Constant Puyo et de Robert Demachy, lesquels ont véritablement fait office de synecdoque au premier mouvement artistique de l’histoire de la photographie. Il s’agrémente désormais d’un troisième nom, féminin en l’occurrence, à savoir celui de Céline Laguarde (1873-1961), une artiste déjà considérée, de son vivant, parmi les photographes majeurs de son temps. Aux côtés de la Britannique Julia Margaret Cameron et de l’Américaine Gertrude Käsebier, elle fut en effet l’une des véritables pionnières de la photographie, avant que son nom ne soit tombé après sa mort dans l’oubli.

Décédée sans descendance, Céline Laguarde n’avait pas pris le soin de se préoccuper de l’avenir de ses archives et c’est dans le cadre des recherches pour l’exposition Qui a peur des femmes photographes ? 1839-1919  présentée en 2015, au musée de l’Orangerie, que le conservateur Thomas Galifot exhume en 2013 un premier fonds. Depuis, le travail de valorisation mené avec passion et conviction par le conservateur en chef du musée d’Orsay a permis de reconstituer le parcours de cette photographe dont seule une poignée de tirages avait jusque-là accédé à la visibilité. Avec plus de 130 épreuves originales, la plupart inédites, l’exposition monographique qui lui est consacrée s’articule en huit sections richement contextualisées où toute la portée de son parcours apparaît avec grâce et netteté.

Basque d’origine et provençale d’adoption, l’artiste mène l’essentiel de sa carrière depuis le sud-est de la France. Les premiers clichés qu’elle fait parvenir à des revues s’inscrivent dans l’esprit d’une pratique féminine amateur, laquelle documente surtout la mémoire familiale. En 1901, Céline Laguarde est admise au Salon du Photo Club de Paris avant d’être, l’année suivante, élue membre de cette association d’amateurs, alors la plus prestigieuse de France.

De ses premières réalisations à haute teneur symboliste jusqu’à ses portraits de personnalités artistiques, la photographe se montra virtuose dans l’utilisation des techniques les plus complexes et sophistiquées, au premier rang desquelles appartiennent les tirages aux encres grasses et à la gomme bichromatée. Permettant une grande interprétation du négatif, ces tirages dits pigmentaires font en effet intervenir la main et rapprochent ainsi le travail du photographe de celui du graveur et du dessinateur, voire de l’aquarelliste.

La volonté dont a fait preuve le pictorialisme pour abolir les frontières entre la photographie et les beaux-arts allait en effet durablement marquer la pratique de Céline Laguarde. Fidèle aux préceptes défendus par ce courant photographique international né en Angleterre à la fin du XIXe siècle, elle entretient, dès le début de sa pratique de multiples affinités avec les principaux mouvements artistiques fin de siècle, partageant avec eux les mêmes références parfois passéistes. Ses premières épreuves entendent alors figer le temps et transformer l’instant de la photographie en tableau. Car au moment où le médium découvre avec l’instantané les vertiges de la vitesse, les artistes pictorialistes lui opposent un monde immobile au temps suspendu… Prise dans une tension assumée entre piété et sensualité, son œuvre se peuple alors d’héroïnes de fictions plongées dans un univers atemporel ou un passé idéalisé.

Organisée au Casino de Nice en 1911, sa première exposition personnelle constitue l’un des principaux temps forts de sa carrière, et ce d’autant plus que jusqu’à la Première Guerre mondiale, les revues internationales spécialisées diffusent abondamment ses œuvres, toutes empreintes d’une salutaire modernité. Tenue éloignée d’une sentimentalité mièvre et exacerbée, la figure féminine n’est alors convoquée qu’à la faveur de l’expression d’une profonde intériorité, où l’introspection et la contemplation sont de mise.

Comme en contrepoint, ses effigies de célébrités masculines des mondes littéraire, artistique, musical et scientifique (Maurice Barrès, Darius Milhaud, Jean-Henri Fabre…) – témoins de ses cercles de sociabilité – sont particulièrement remarquées dans les Salons d’avant-guerre. Sans jamais tomber dans la solennité, ses portraits restituent alors l’intériorité de ces célèbres modèles jusqu’à laisser transparaître une forme de vulnérabilité.

Au sein du pictorialisme français, Laguarde figure parmi les rares artistes véritablement ouverts aux influences américaines, ce que la critique n’omettra pas de remarquer en soulignant souvent les analogies existant entre son art et celui d’Edward Steichen, notamment en raison des audaces formelles dont elle fait preuve dans le traitement du paysage. La photographe aborde ce genre en tenant compte de son ancrage local, profondément rattaché au Sud. Dans son souci de donner du Pays basque une image à la fois pittoresque et moderne, Laguarde laisse ainsi le monde contemporain et industriel pénétrer exceptionnellement son œuvre, comme l’attestent ses fabuleuses vues des forges de l’Adour.

Pionnière, elle l’est également dans la microphotographie scientifique, qu’elle commence à pratiquer en 1914, en lien avec les recherches entomologiques de son mari. Devenue veuve en 1939, Céline Laguarde se détache de la photographie pour se consacrer à la musique. Car outre sa carrière de photographe, elle fut également une grande pianiste concertiste, amie chère de Darius Milhaud, lequel reconnaît dans son œuvre photographique la mise en images de ses propres aspirations mystiques, toutes bercées d’univers littéraires et du culte porté au poète Francis Jammes… Entre Musique, poésie et photographie, s’établit alors toute une partition de fertiles correspondances dont Céline Laguarde s’est faite la brillante interprète.