Épris de totale liberté, Jean Messagier n’a jamais cessé, jusqu’à ses œuvres ultimes, de se renouveler. Intensité, radicalité, tels sont alors les adjectifs qui viennent à l’esprit lorsque l’œil embrasse ses dernières œuvres, lesquelles ouvrent le parcours à rebours de l’exposition qui lui est dédiée. Souvent associé à la seconde École de Paris, mais aussi à l’Abstraction Lyrique, au Nuagisme ou encore à l’Art Informel, le peintre a cependant toujours refusé les étiquettes, traçant alors sa voie, indifférent aux diktats qui animaient la scène artistique de son temps.

   Les premiers tableaux de cet artiste formé dans les années 1940 aux Arts décoratifs de Paris, conservent le souvenir du cubisme avant que la patte ne se confirme au début des années 1950 dans de larges compositions quasi monochromes, charpentées de rares lignes verticales, véhiculant alors l’expérience vécue d’un paysage transposé en sentiment aérien de l’espace. À la fin de la décennie, Messagier s’affirme dans un geste ample et délié, brossant sur la toile d’inlassables mouvements giratoires et de rythme enlacés qui entraînent le regard dans une plongée méditative. Ici, le paysage s’inscrit dans l’ordre des saisons, comme une vision atmosphérique à l’épaisseur radiante où l’air, le gel, l’eau et la terre ont toute leur place. La matière se fait transitoire et dans cette tentative de rendre tangibles les forces invisibles de la vie, ses œuvres instruisent l’élan d’une nature au flux débordant. Qu’elles soient graciles ou bien affirmées, les interventions de Jean Messagier, se traduisent alors par une transparence et une légèreté où se murmure toute une ténuité immatérielle.  Le mouvement de l’air semble bruisser si bien que cette implacable poésie se ravive au travers de tourbillons, vastes enroulements de coups de pinceaux comme lovés sur eux-mêmes.

Son talent de coloriste suit une trajectoire similaire, et s’épanouit d’abord dans des combinaisons de teintes beiges et ocre, dont l’effusion de tons assourdis enveloppe l’œil dans une abstraction gorgée d’impressions du paysage. Dans les années 1990, ses œuvres ultimes – fraîches comme la rosée – se parent de verts printaniers et de couleurs acidulées qui rappellent à de nombreux égards celles de son successeur Bernard Frize. Incisés avec énergie dans le corps même de l’œuvre, les titres des tableaux témoignent alors d’un caractère énigmatique et facétieux, à l’image même de la rapidité et du geste fiévreux dont ces toiles font part.

Aux côtés des grandes figures de son temps – Manessier, Poliakoff, Alechinsky, Soulages et autres peintres de l’École de Paris- Messagier a connu la reconnaissance de son vivant : En 1962, l’artiste représente la France à la Biennale de Venise et effectue une grande percée internationale, exposant notamment à New York puis à la documenta de Kassel en 1964. Célébrée des années 1950 jusqu’à son exposition au Grand Palais en 1981, son évolution va paradoxalement déranger par la suite. Car tout comme Jean Hélion et Philip Guston, Messagier n’a jamais voulu résoudre la question de l’abstraction et de la figuration. Était-il sans doute trop épris de peinture et du tourbillon furieux et coloré de la vie, comme dirait la chanson.