Le rendez-vous a lieu rue des Abbesses au Vrai Paris, un estancot au plafond noyé de grappes de fleurs moins vraies que nature. Plus kitsch, tu meurs. Drôle d’endroit pour une rencontre. Le Vrai Paris… Il en existe donc de faux ? Une raison à ce choix : Rosanna Lerner, la primo romancière comme on dit, auteur du très agité Pussy Suicide, loge en face ou presque. Rosanna Lerner est brune, habillée de noir et porte des lunettes aux montures aussi sombres que ses jolies dents sont d’une blancheur apaisante. C’est une fille de 30 ans qui ne court pas après la carrière – réceptionniste dans la boîte d’un pote, baby-sitting l’après-midi et entre, l’écriture. Une ambition qui a mûri langoureusement comme on s’étire dans son lit après avoir fait l’amour et bien dormi. Un roman pour horizon salutaire face à la question existentielle aussi vraie que la Terre est ronde : que faire de son existence lorsque l’on ne se voit pas dans un bureau ? Élevée près de l’avenue Foch, « un quartier chiant, triste et bling », cette fille d’un ancien grand reporter de France 2 et d’une femme « bossant dans la com’ culturelle en région Île-de-France » a vu dans la perspective du roman une échappée belle loin du salariat monotone.

    Pussy Suicide est sombre et comique. Un mélange trois temps de saillies poétiques, d’humour trash et de déchéance morbide. Le roman qui narre les aventures amoureuses et sexuelles d’une Parisienne de 16 ans, devait s’appeler Romance. Titre pris par Catherine Breillat. Et « les gens de Grasset penchaient pour un truc plus radical ».  Aussi Puissy Suicide, navigue-t-il dans l’esprit du titre entre Virgin Suicide et Suicide Girls, communauté de jeunes Américaines tatouées et percées adeptes de pornos. « À un moment, confie cette fille au rire au bord des lèvres, j’ai décidé de supprimer les scènes de cul mais mon éditeur m’en a dissuadé. Finalement, j’en ai mis d’autres. J’avais peur qu’elles soient trop graphiques et cheapos mais apparemment, non… » Résumé du livre : Otessa, seize ans, aime Oscar, même âge ou presque, qui n’en a rien à foutre. Surgit, par l’entremise d’une amie, Jacques, « vieux beau » de 37 ans. Orgie en mode allume-cigare à trois puis à deux. Puis largage de la part du consommateur indifférent suivie d’une dégringolade cataclysmique chez Otessa en pleine crise de limérance (érotisation du rejet).

    Là où certains parleraient d’emprise, Rosanna Lerner y voit juste une fiction d’une fille de 30 ans, donc protégée par son sexe. « J’ai conscience que c’est injuste car un mec qui écrirait une histoire pareille se prendrait des scuds et serait blacklisté. Quand mon éditeur soulevait certains côtés problématiques de l’intrigue amoureuse, je lui rétorquais que je n’étais pas problématique, que je n’étais pas essayiste et que je me foutais du qu’en-dira-t-on. La fiction doit tout se permettre et je n’imagine pas les pédophiles lisant mon roman pour se décomplexer. » Rosanna Lerner retourne maintenant chez elle, en face. Devant son ordi. Le second roman est toujours un exercice périlleux.

Pussy Suicide, éd. Grasset, 224 pages, 19 euros.

Photo Edouard Monfrais-Albertini