C’est une mise en scène grâcieuse et ludique que propose Jeanne Desoubeaux pour cet Orlando porté par quelques très belles chanteuses, comme la soprano Siobhan Stagg.

Aborder une œuvre de trois siècles avec candeur pourrait sembler difficile, voire impossible. Pourtant, c’est bien ce que Jeanne Desoubeaux accomplit aujourd’hui en présentant Orlando de Haendel au Châtelet, avec une inventivité et un sens du jeu imparables. Prenons les faits : Orlando, chef-d’œuvre de Haendel, chef-d’œuvre du baroque, chef-d’œuvre de l’art lyrique, s’avère de ces « intouchables » qui obtiennent l’adhésion du public par le simple fait de leur existence, et font ainsi venir leurs adeptes sur la promesse d’entendre des airs comme le trio amoureux du premier acte, ou la grande scène de la folie d’Orlando à la fin du deuxième acte. Orlando s’avère d’autant plus légendaire qu’il reprend dans son livret les grandes lignes de l’Orlando furioso de l’Arioste que nos chers lecteurs connaissent évidemment par cœur, puisqu’il s’agit du magnum opus des poèmes épiques du XVIe siècle. Et si le librettiste, apparemment anonyme, ne s’est pas appliqué à reproduire à la lettre le poème, il en a gardé le personnage haut en couleur d’Orlando, chevalier héroïque et furieux, aveuglé par sa vengeance, et par l’amour déçu. C’est donc une histoire de la folie de la jalousie que nous raconte cet opéra, mais aussi, et ce n’est en rien extrapoler l’audace du compositeur, celle de la liberté sexuelle féminine. Le chevalier est trompé par le couple d’Angélique et Médoro, qui sont bien là sur scène et comme le veut l’opéra de Haendel, campés par deux femmes, une alto, formidable Elizabeth DeShong, qui sera acclamée aux saluts, et Siobhan Stagg, la soprano australienne dont on ne cesse dans ce magazine de souligner l’élégance et la profondeur du chant. Les scènes qui voient les deux femmes se séduire, se formuler des serments d’amour, ou même, embarquer une troisième comparse, Dorinda, dans un jeu sensuel assumé, comptent parmi les plus stimulantes de l’opéra. Le rôle du metteur en scène est donc de faire voir cette audace libertine du germano-britannique Haendel, dans un XVIIIe siècle qui promet déjà par cet opéra tant d’impétueuse licence. Seul écueil, au-delà de la sensualité et de la magie qui dominent l’histoire d’Orlando, il faut bien reconnaître que livret peine à construire une action, ou une narration, cohérentes, et le risque d’un tel opéra, est d’aligner les scènes statiques de chants d’amour, ou de peine, pendant trois heures. Comprenant cela, Jeanne Desoubeaux a eu l’idée formidable de faire entrer sur scène des enfants qui viennent mettre vie et rires dans un opéra qui n’attendait que ça. Comment s’y prend-elle ? En choisissant d’abord de placer l’ensemble dans un musée. L’idée pourrait être empruntée au fameux film américain « Ma Nuit au musée » : un groupe d’enfants visite le musée, la classe quitte les lieux, mais quelques-uns s’échappent et se cachent dans le musée. A la nuit tombée, ils découvrent que des tableaux surgissent des personnages vivants, notamment Orlando, femme déguisée en homme ( et non pas castrat comme à la création), qui part à la découverte de son destin. Ainsi les enfants vont occuper chaque scène, en dansant, en mimant les chanteurs, en feignant de les importuner, ou en intervenant dans l’intrigue. Maître de ce jeu, Zoroastro, magicien de l’opéra, devient ici une figure à la Harry Potter qui, en un geste, intime les enfants à danser, ou des arbres à descendre du ciel. Et Riccardo Novaro l’incarne avec une jouissance évidente, et une virtuosité puisqu’il réussit, dans le troisième acte, à chanter, une petite fille perchée sur ses épaules…C’est là l’essence de cette mise en scène qui ne cesse d’être en mouvement : ici dans un jeu érotique, là dans un ballet d’enfants masqués et en robes roses défilant sur scène, ou encore dans un jardin mouvant, lieu de toutes les métamorphoses. Cette fantaisie qui est aux fondements de l’opéra, réussit grâce à la metteure en scène, et au plaisir manifeste des chanteurs à jouer avec les enfants, a renaître avec brio. Et cela aussi, et surtout, grâce aux premiers acteurs de cette création, Christophe Rousset et ses Talens Lyriques qui offrent dans la fosse un Orlando aussi primesautier que sur scène. Oui, nul doute que Haendel, au Châtelet, devient un jeu d’enfant.

Orlando de Georg Friedrich Haendel, direction musicale Christophe Rousset, mise en scène Jeanne Desoubeaux, Théâtre du Châtelet, jusqu’au 2 février 2025. Plus d’infos sur https://www.chatelet.com