Hugues Pagan confronte son enquêteur à des forces obscures. Un polar contemplatif et hanté.
« Est-ce que vous croyez au Diable, monsieur l’inspecteur ? » C’est à l’Inspecteur Claude Schneider, héros récurrent d’Hugues Pagan, que s’adresse cette très métaphysique question. L’homme qui la lui adresse le prend par surprise, mais comme toujours, il n’en laissera rien paraître. L’affaire au cours de laquelle cette interrogation surgit va le confronter au pire : sinon au Diable en personne, auquel il ne croit guère, du moins son corollaire fort humain, le mal. Il n’est pas de grand polar sans exploration de la question du mal, et Hugues Pagan l’affronte avec une redoutable ingéniosité. Tout commence avec trois corps calcinés trouvés dans les décombres d’une ancienne ébénisterie, ravagée par un incendie. Schneider et son équipe sont appelés sur les lieux, et l’origine criminelle du sinistre est vite avérée. L’Inspecteur trouve rapidement l’homme qui aurait allumé le feu contre la somme substantielle versée par un mystérieux commanditaire. Ce dernier, en revanche, se révèle bien plus insaisissable… Et les cadavres s’accumulent. Certains personnages rejoindront au cours de ces pages « l’amicale de tous ceux qui avaient du sang sur les mains. Un jour ou l’autre, et pour quelque raison que ce fût, à son corps défendant ou non (…) » Hugues Pagan a passé vingt-cinq ans dans la police, avant de devenir scénariste (on lui doit notamment les séries Polar District et Mafiosa) et écrivain. Il a déjà fait vivre à Claude Schneider, son impassible inspecteur, plusieurs aventures sanglantes, notamment Profil perdu et Le Carré des indigents (lauréat du prix Landerneau Polar, du prix Noir de l’Histoire à Blois et du Grand Prix de Littérature policière, et qui sort simultanément en poche). Il a l’art de cultiver le suspense et le pas de côté, le réalisme du poste de police et le brumeux de l’esprit humain. La mélancolie irrigue ses polars contemplatifs. Styliste et conteur hors pair, il prend le temps de déployer son histoire, de s’attarder auprès de personnages singuliers ou de faire briller l’éclat de traits d’humour inattendus. « D’expérience, Schneider savait que dans tout interrogatoire, dans tout entretien, dans toute existence, peut-être, il y avait toujours cet instant où les choses basculent, pour ainsi dire d’elle-même, et où l’on passe des préliminaires, des considérants ou de l’exorde à la chute, à la fois déroutante, brutale et prévisible. » Heureusement, si le pire est souvent certain du côté de l’âme humaine, tout n’est pas prévisible dans les chemins de traverse qu’emprunte Hugues Pagan pour captiver son lecteur… Aucune enquête, aussi méthodique soit-elle, ne pourra résoudre la question du mal. Rien de plus romanesque sans doute que ce trouble et « l’innocence du jour naissant, la seule peut-être qui valût, puisqu’aussi bien elle n’était pas appelée à durer. »
L’Ombre portée, Hugues Pagan, Rivages Noir, 452 p., 22 euros. Paraissent également Le Carré des indigents, et L’étage des morts, Rivages Poche.