À Londres et Paris, la galerie David Zwirner met à l’honneur le grand artiste conceptuel On Kawara, dont quatre tableaux de jeunesse méconnus.

On Kawara a eu des expositions dans le monde entier et est collectionné par les plus grandes institutions internationales. Celles-ci se doivent de conserver ou de présenter One Million Years (montrée pour la première fois en 1971 à la galerie Konrad Fischer à Düsseldorf) répertoriant plus de deux millions d’années avec uniquement une liste de dates, depuis 998031 BC (avant J.C.) jusqu’à 1969 AD (après J.C.) et de 1981 AD à 1001980 BC. Dédiée à tous ceux qui ont vécu et sont morts et au dernier d’entre nous qui restera, précise l’artiste, sur un ton funéraire assumé. Aride, obsessionnel mais assez fascinant. Le vertige de la création du monde. Ici point d’histoire, de dimension religieuse ou philosophique. Uniquement le temps qui passe, immuablement. La réduction de l’histoire humaine à cette seule donnée s’ancre dans un geste artistique radical, faisant table rase de toute émotion. À la manière d’une encyclopédie hors-norme, l’œuvre tente de mesurer l’immensurable.

On Kawara, mort en 2014, est aujourd’hui une figure majeure de ce qu’on nomme l’art conceptuel. Il ne faut en effet pas s’y tromper : si l’entreprise de l’artiste revêt des aspects qui pourraient sembler déconnectés de toute sensibilité, elle a pourtant une vocation universelle indéniable. L’artiste y a d’ailleurs consacré sa vie entière. Réalisée par séries, son œuvre doit en effet se lire comme une complétude dont le sujet principal est la capture du temps. Vaste utopie me direz-vous ! Mais alors, comment cet artiste japonais, né en 1932, s’y est-il pris pour donner une consistance plastique au temps, à sa durée et à sa relativité ? Ce que l’on voit dans une de ses séries les plus connues nommées Date Paintings (dont 24 pièces sont présentées dans la galerie Zwirner de Londres), ce sont des tableaux portant la date du jour peinte en blanc sur un fond monochrome, souvent accompagnés d’une coupure de presse datée du même jour. Le premier étant daté du 4 janvier 1966 et tous sont devenus cultes. A Paris, le phénomène Kawara se montre plus confidentiel puisque la galerie dévoile uniquement quatre tableaux très rarement montrés, réalisés en 1955 et 1956 à Tokyo. Œuvres de jeunesse figuratives, très sombres et envahies de motifs malaisants, vers et asticots évoluant dans des environnements labyrinthiques kafkaïens. L’angoisse de l’enfermement y est très forte. Cette peinture qui mêle surréalisme et existentialisme date de la même époque qu’une série de masques mortuaires qui consiste en des visages japonais déformés, atomisés. Le temps, envisagé plus tard comme une longue course inéluctable composée de dates mimant des inscriptions funéraires, est ici celui de l’horreur, du traumatisme, de la guerre, d’Hiroshima. Déformées, ces premières œuvres figuratives semblent aussi vouloir représenter la contraction et la dilution inexplicable du temps, ressenties comme un poignard cruel. Mais l’angoisse était peut-être trop grande, la figuration restant finalement incapable de représenter l’irreprésentable. L’artiste y substitua alors une abstraction radicale, seule échappatoire, les signes (dans son cas les dates), remplaçant ces peintures de jeunesse qui sont, pour cela, très émouvantes.

Illustration : Untitled, 1956. Acrylic on canvas © One Million Years Foundation. Courtesy One Million Years Foundation and David Zwirner.

On Kawara, Early works, du 23 novembre au 25 janvier, Galerie David Zwirner Paris, davidzwirner.com