Comment raconter à l’écran le sentiment d’exil ? Le cinéaste franco-marocain, Saïd Hamich Benlarbi y parvient au fil de cette fresque en miniature, tour à tour dansante, sensuelle et mélancolique.
Échoué à Marseille, Nour (Ayoub Gretaa) vivote avec une bande de clandestins comme lui. Entre petits trafics, soirées animées et jeux de chat et la souris avec la police, les jours s’enchaînent jusqu’à ce que l’un d’eux provoque l’éclatement du groupe en acceptant un mariage arrangé pour obtenir son droit de séjour. Clochardisé, Nour est recueilli par Serge (Grégoire Colin), le flic qui l’avait arrêté et qui l’héberge au sein du couple libertin qu’il forme avec Noémie (Anna Mouglalis). Divisé en trois chapitres, le deuxième long-métrage du cinéaste franco-marocain Saïd Hamich Benlarbi est une fresque en miniature, une odyssée dont les nombreuses pérégrinations s’étalent sur dix ans, tout du long des années quatre-vingt-dix. Son héros au sourire figé, hébété dit celui qui ne veut jamais faire de vagues car il ne peut se les permettre, lui qui rêve de rester sur le territoire français. Pareil au bouchon de liège de Renoir, Nour est un être sans qualités, aboulique et qui se laisse traverser par l’Histoire et le désir des autres. Au terme de son odyssée sentimentale et morale, il apprend à ses dépens que l’exil se cristallise dans un impossible retour. Il apprend aussi à s’assumer et à se défaire des stéréotypes dans lesquels tous ceux qu’il croise cherchent à l’enfermer. Benlarbi émaille son récit d’une merveilleuse bande musicale, composée de standards Raï, cette musique bicéphale où se mêlent joie de vivre et mélancolie du pays perdu. Il puise plus secrètement son inspiration dans le cinéma de Fassbinder et peut-être aussi de Paul Vecchiali qui aimait tant les films romanesques français des années trente. Ces nombreuses touches musicales et cinématographiques ravivent par flashs impressionnistes des territoires abandonnés de récits, des imaginaires qui nous paraissent aujourd’hui lointains, fantômes d’une époque plus libre, plus amorale, moins formatée. En s’agrégeant au fil de scènes denses, de situations complexes, portées par des personnages attachants et insaisissables, ils participent à la justesse de la reconstitution du sentiment d’exil. Situé dans un Marseille interlope, travesti et noctambule jamais filmé (à notre connaissance), La Mer au loin a des airs d’un nouveau réalisme poétique. Comme le cinéma de ceux auxquels ils puisent son inspiration, mais sans jamais les plagier, les copier ou les parodier, il ravive l’espoir de voir renaître sur nos écrans un cinéma plus attaché aux dérives de ses personnages qu’à la certitude de ses discours.
La mer au loin de Saïd Hamich Benlarbi, Jokers Films