Le Salon de Montrouge a permis à des générations d’artistes d’émerger. La 68e édition prend à nouveau le pari de refléter la diversité de la création actuelle.

            Emergence. Ce mot est presque devenu, à lui tout seul, un gage de qualité et de valeur de marché sur la scène de l’art contemporain. Les jeunes artistes, de prix en résidences, d’expositions en foires, semblent de plus en plus nombreux et de plus en plus dotés en opportunités. Mais pour être exposé, mieux vaut parler d’écologie, de migration, de vivant, de féminisme, d’inclusion, de fluidité de genre et même, petite revanche par rapport aux préoccupations du passé, de peinture figurative ! Évidemment, ces thématiques sont essentielles et reflètent les palpitations de la société. Mais l’art, ne l’oublions pas, est aussi une histoire de formes et d’émotions. Ainsi pouvons-nous espérer que les dérives sur les sélections d’artistes uniquement basées sur des critères thématiques ou biographiques soient derrière nous. À ce propos, on a vu les lassitudes qu’ont pu générer certaines sélections du Prix Marcel Duchamp ou de la Biennale de Venise de la part d’une partie du milieu de l’art qui s’est sentie incomprise. Alors, ne doit-on pas se reposer ces questions simples mais primordiales : que signifie sélectionner ou primer un artiste ? ; quelle responsabilité cela implique au regard de l’histoire, sur le temps long ? Quels critères ont par exemple prévalu pour Yto Barrada à la Biennale de Venise en 2026 ? Ou pour Eva Jospin à l’Académie ? Ces questionnements animent légitimement les dîners en ville, les attributions de médailles étant souvent opaques, quand elles ne sont pas le résultat d’intérêts plus politiques qu’artistiques. Ici, rien de nouveau sous le soleil mais on peut espérer qu’un salon comme celui de Montrouge, dont la réputation n’est plus à prouver quant à sa capacité à révéler des talents et à être un accélérateur de carrière – notamment depuis la direction artistique de Stéphane Corréard entre 2009 et 2015 – devrait avoir pour mission de nous éclairer sur la diversité au sens large de l’art contemporain émergent.

Sacha Cambier de Montravel, L’Errance de Caïn, volets extérieurs du retable, huile sur panneau de bois, 74 x 95 cm. Crédit photo : Sacha Cambier de Montravel

                 Moins de politique, plus de qualité

        Cela semble une évidence, mais trop souvent, on le sait, les sélections ne sont finalement que le résultat de cercles de connivences professionnelles ou politiques, parfois même le reflet de la pensée dominante d’un curateur qui utiliserait une exposition comme un outil servant des opinions ciblées. Ce vœu est celui d’Henri Van Melle, un des membres du comité de sélection du salon cette année : « On espère qu’aujourd’hui, on va retrouver une diversité qu’on avait aimée par le passé. L’erreur serait de faire une curation orientée qui ne donnerait plus la chance à de vraies découvertes. Le salon doit être l’expression d’une époque et d’une période ». Même tonalité chez Andrea Ponsini, cheville ouvrière du Salon depuis longtemps en tant que responsable des arts plastiques de la ville de Montrouge, qui vient de prendre les rênes de la direction artistique : « L’idée était de ne pas avoir une personnalité curatoriale trop verticale qui phagocyterait les choix et qui amènerait les artistes qu’il suit déjà », insistant sur l’horizontalité et la collégialité du nouveau comité de sélection. Même les « prix » ont été supprimés au profit de partenariats – nommés « Perspectives » – avec une dizaine de structures culturelles (Les Jardiniers à Montrouge, le Centre Pompidou-Metz, le Grand Café à Saint-Nazaire, Julio artist-run space…) qui, de manière indépendante, programmeront des projets avec des artistes du Salon de leur choix.

             Minuties picturales et archéologie fragile

« Ce qui se dégage de l’intention curatoriale est la notion de « cohabitation » : des systèmes de valeurs, des identités, du passé et du présent, de l’intime et du collectif… Beaucoup d’œuvres portent aussi sur le langage, la mémoire des ancêtres, les modes de communication et questionnent la sphère du quotidien, les notions de refuge, d’amitié et de communion, avec la nature notamment, et d’autres formes de vie » analyse Andrea Ponsini, en indiquant que sur les quarante artistes sélectionnés, d’une moyenne d’âge de 25 ans, 60% sont issus d’écoles d’art et 40% d’un autre parcours. Ainsi, on pourra être captivés par le regard à la fois intimiste et politique des documentaires expérimentaux d’Amie Barouh qui n’hésite pas à s’immerger au quotidien dans les espaces qu’elle filme, on se perdra dans les minuties picturales de Sacha Cambier de Montravel où orgueil et préjugés se mêlent aux mythes anciens, aux inquiétudes actuelles et à l’esthétique de la peinture flamande, on sera intrigués par les historiettes et petites structures de Emma Ben Aziza qui manipule les symboles culturels de nos quotidiens, on sera perturbés par le fantastique virtuel des films de Nathan Ghali et admiratif devant les impressionnantes installations de Louis Guillaume qui s’ancrent dans la terre et la matière, on s’interrogera aussi devant l’archéologie fragile et illusionniste de Lou Motin tout en s’arrêtant longuement devant la foisonnante poétique des ruines des peintures de Ludovic Nino.

                        Laboratoire de jeunes talents

« Le Salon se revendique comme un laboratoire dans lequel pouvoir penser et diffuser de nouvelles manières de créer » abonde Andrea Ponsini en insistant sur l’ouverture inédite de l’événement dans la ville, à travers un parcours d’œuvres dans l’espace public et des expositions dans les autres lieux culturels de Montrouge, à la Médiathèque sur l’histoire du Salon ou aux Jardiniers avec d’anciens artistes du Salon. « L’idée est de créer un véritable festival de l’art contemporain pour les professionnels du milieu, traditionnellement nombreux à traverser le périphérique pour l’occasion et pour les Montrougiens qui représentent 50% de la fréquentation ».À travers l’art, peut-on aller plus loin afin d’avoir un meilleur débat ? Peut-il être l’initiateur d’apaisement ? « C’est peut-être la mission de l’art aujourd’hui plutôt que de tomber dans les partisanismes » conclut Andrea Ponsini qui a à cœur d’ouvrir un Salon de Montrouge qui serait synonyme d’une nouvelle voie à suivre. Ne reste plus qu’à s’y précipiter pour juger sur pièces et découvrir ce nouveau millésime de jeunes talents.

Le Salon de Montrouge, 68e édition, Beffroi de Montrouge, du 7 février au 25 février, salondemontrouge.com

Photo : Cécile Cornet, Nomad’s land ; 2024 ; acrylique ; Dim. : h.280 x l. 350 – Crédit photo : Cécile Cornet.