Médée de Cherubini est présenté à l’Opéra Comique ; une œuvre à découvrir et musicalement portée par Insula Orchestra. Une mise en scène plus contestable…
Que faire à l’époque moderne d’une Médée ? C’est-à-dire d’un mythe qui touche à l’innommable, le meurtre d’enfants par leur mère, et qui demeure sans doute l’un de nos mythes fondateurs, justement parce qu’il porte le mystère d’un acte que rien n’explique, ni ne justifie ? Le spectacle qui se joue aujourd’hui à l’Opéra Comique nous interroge sur cette possibilité de réinterpréter les mythes. Et ce, en présentant une œuvre rare, la Médée de Cherubini. Ecrit en 1790, en pleine Révolution, et créée en 1797 à Paris, au Théâtre Feydeau, cet opéra a été initié par le librettiste François-Benoît Hoffmann qui écrit les dialogues en alexandrins : ce qui engendre une double envergure à l’œuvre, d’une part la musique joueuse de l’Italien féru de Gluck, d’autre part la langue classique, très grand Siècle, d’Hoffmann. Comment faire co-exister ces deux tempos ? L’enjeu était de taille, et ce d’abord pour Laurence Equilbey et son Insula Orchestra, qui célèbrent cette année leurs dix ans. La cheffe et ses musiciens réussissent à nous faire entendre la singularité de cette musique qui emprunte autant au XVIIIème qu’elle annonce le romantisme à venir. Et plusieurs fois dans le spectacle, il suffit de s’abandonner à la musique, et de fermer les yeux, pour savourer le plaisir offert par Cherubini dans ce Médée qui frôle le tragique, sans y tomber. Ainsi, le ravissement peut être atteint lors de certaines scènes portées par les chanteurs et le choeur, comme la scène de noces qui ouvre l’opéra, virevoltante, ou la bouleversante scène d’adieu de Jason et Médée, avant le basculement dans la folie sanguinaire, et que Julien Behr et Joyce El-Kouhry interprètent là avec puissance, et finesse. Ils n’atteignent pas toujours un tel équilibre, mais ici, y parviennent. On notera aussi la présence forte du baryton Edwin Crossley-Mercer en Créon implacable, face aux supplications de Médée. Les voix de ces chanteurs permettent à l’opéra de nous retenir par instants par la force de leurs airs.
Et d’oublier la mise en scène proposée par Marie-Eve Signeyrole. Car enfin, dès l’ouverture de l’opéra, nous comprenons que ce Médée sera essentiellement démonstratif. Une actrice assise sur une chaise, s’adressant au public, va expliquer pourquoi elle est en prison, et les raisons qui l’ont menée à faire ce qu’elle fait. Outre la maladresse de ces textes qui se mêlent mal aux alexandrins du XVIIIème et à la musique de Cherubini, s’ajoutent des images vidéo nous montrant un jardin et une maison portant les traces d’enfants disparus : balançoires grinçant dans le vide, main de nourrisson cherchant à attraper un jouet, canard de plastique au bord d’une baignoire. Ces images ne produisent aucun effet sur le public, tant elles sont usées, et insignifiantes, mais donnent à l’ensemble un cachet poussiéreux. Comme si Médée, poussée de force dans le monde d’aujourd’hui, se voyait soudain non plus magicienne et sorcière, mais figure banale de fait divers. Une proposition difficile à saisir eu égard à l’œuvre de Cherubini.`
Médée, Opéra Comique de Luigi Cherubini, direction musicale Laurence Equilbey, mise en scène Marie-Eve Signeyrole, jusqu’au 16 février. https://www.opera-comique.com/fr Et à l’Opéra de Montpellier, dans une direction musicale de Jean-Marie Zeitouni, du 8 au 13 mars. Plus d’infos sur https://www.opera-orchestre-montpellier.fr/