En Alsace, à la Fondation François Schneider, l’art contemporain rime avec fontaine de jouvence : sept artistes s’emparent de l’élément eau et font s’écouler leur imagination.
Partir à la rencontre de l’art contemporain au milieu des montagnes, près d’une source vive, c’est aussi inattendu que vivifiant. Au cœur des Vosges, au milieu d’un paysage tapissé de vert, apparaît un bâtiment aux ouvertures lumineuses. Ici, coule depuis 24 ans le projet de François Schneider qui, après avoir exploité l’eau de source de Wattwiller, a eu à cœur de créer une fondation en 2000 afin de délivrer des bourses à de jeunes bacheliers aux ressources modestes et à des artistes émergents. Un centre d’art a ainsi vu le jour dans une ancienne usine d’embouteillage rénovée. Et ce ne sont plus des rangées de bouteilles qui en sortent mais des expositions de qualité, à condition qu’elles aient pour thème l’eau. Cette eau dont les ondulations scintillent délicatement dans les photographies de Capucine Vandebrouck qui captent l’éclat de la goutte fugace et l’éphémère des ronds dans l’eau. Art minimal limpide se traduisant aussi en flaques au sol comme autant de monochromes aqueux. Cette artiste est une ancienne lauréate de la bourse « Talents contemporains » (dotés de 15 000 euros) qui, depuis douze ans, récompense des artistes émergents en même temps que la fondation fait l’acquisition d’une de leurs œuvres. Les six lauréats de cette année sont, eux, regroupés sous l’intitulé « territoires mouvants » et l’on a en effet l’impression de naviguer des îles du bout du monde jusqu’aux abysses des fonds marins. Aurélien Mauplot nous embarque dans un tour du monde en 80 jours dont la destination est l’île de la Possession : sur les pages du roman de Jules Verne, il a imprimé à l’encre noire les silhouettes des pays du monde à la manière d’un explorateur inassouvi qui s’interroge sur les notions de frontières et de territoires. À côté, ce sont les corps allongés de Bilal Hamdad qui surgissent d’un fond caravagesque tout en rejouant l’Ophélie du peintre symboliste John Everett Millais. Dormeurs du val contemporains évoquant la souffrance des migrants en proie à la solitude et la violence urbaines. Puis c’est l’eau de la fontaine néorocaille d’Ugo Schiavi, en forme de tête de Poséidon, qui préside à un jardin de gorgones en résine. Faussement séduisantes car créées grâce à la réutilisation de déchets plastiques agglomérés. L’artiste dénonce la pollution marine, à l’instar des cyanotypes de Manon Lanjouère dont la beauté luminescente fait apparaître des micro-organismes. Mais si l’artiste a recréé leur forme, c’est grâce à l’utilisation de fonds de bouteille, d’élastiques ou de passoires de douche, autant de matière plastique dont la désintégration dans les océans est responsable de leur asphyxie… À Porto, Noémie Sjöberg, elle, a filmé les plongeons de jeunes portugais désargentés qui risquent leur vie pour divertir un tourisme de masse mortifère. Enfermées dans une boîte à musique, ces images content l’absurdité du monde en face des cartographies d’Ulysse Bordarias où se télescopent des fragments de monuments antiques, des nuages surréalistes et des mobiles futuristes, destination finale de cette circumnavigation artistique où l’inquiétude du réel supplante bien souvent l’imaginaire.
Capucine Vandebrouck, un regard sur l’impermanence et Talents contemporains, 12e édition, jusqu’au 23 mars – Fondation François Schneider – fondationfrancoischneider.org
Photo : Vue de l’exposition Territoires mouvants, œuvres d’Ugo Schiavi. Crédit Steeve Constanty.