Encore un beau premier roman en cette rentrée, que ce Photo sur demande de Simon Chevrier. Ou le portrait d’un jeune homme déglingué d’aujourd’hui à la recherche d’une rédemption.

Le Master Création littéraire du Havre semble former de très bonnes recrues. On a déjà pu le vérifier en lisant les débuts littéraires prometteurs de Shane Haddad, d’Emma Doude van Troostwijk ou de Bérénice Pichat. Tous laissant entendre une voix personnelle et montrant une manière de raconter sans aucun formatage formel, comme on a pu parfois le reprocher au « creative writing ». Le dernier diplômé en date à se présenter en librairie se nomme Simon Chevrier. Il y a déjà une voix au fil des pages de Photo sur demande. Un ton, une façon de fixer les lieux et les êtres, d’écouter les silences. Le narrateur de Simon Chevrier vit dans la ville au bord de la Garonne, jamais nommée, où l’on trouve l’île du Ramier. Le jeune homme partage une maison avec d’autres colocataires. Il ne va plus trop à la fac, a renoncé à réviser pour passer le CAPES et cherche un petit boulot en attendant. Très assidu à la salle de sport où il sculpte son corps frêle, il est inscrit sur les sites Grindr et Giton et monnaie ses rendez-vous et ses faveurs auprès d’hommes ou de garçons de divers horizons. L’argent récolté, il le conserve dans une grande boite à biscuits glissée sous son lit. Expliquant que cela lui est venu en découvrant le personnage joué par Björk dans Dancer in the dark. C’était aussi le cas de l’héroïne de A Suspicious River de Laura Kasichke dont il ne parle pas. De ce narrateur détaché auquel on s’attache pourtant peu à peu, Simon Chevrier nous apprend qu’il a tâté du mannequinat, qu’il prend des notes et dessine dans un carnet. Qu’il a une sœur, une mère et un père malade et condamné. Un jour, le voici saisit par une photo scotchée au-dessus du lit de son ami Thibaut. Un cliché en noir et blanc réalisé par le photographe new-yorkais Peter Hujar, mort du sida en 1987, dont le Jeu de Paume avait réuni le travail en 2020. Pas celui montrant Candy Darling au lit, ni celui captant William Burroughs la main appuyée au menton ou celui d’un homme en train de jouir. Celui où un garçon au visage fin et à la coupe au bol, corps plié en deux, se suce le doigt du pied gauche en regardant l’objectif. Le modèle, il l’apprend, était un certain Daniel Schook sur lequel il se met en quête d’informations. Daniel Schook semble être une énigme échappant aux mailles de la toile. Pour en savoir plus, il écrit à Nan Goldin ou se plonge dans Au bord du gouffre de David Wojnarowiz. Photo sur demande se déroule il y a quelques années. Au moment où un virus se propageait, une pandémie s’invitait et un confinement venait à être déclaré. Notre héros, nous l’accompagnons lorsqu’il revient dans sa famille. Perd son père et se souvient des moments partagés avec lui. On est touché d’un bout à l’autre en lisant le premier livre de Simon Chevrier par sa manière d’observer et de raconter. De brosser le portrait d’un jeune homme moderne et éternel à la fois. Chevrier est une belle promesse d’avenir.

Simon Chevrier, Photo sur demande, Stock, 179 p., 19€