Véritable pavé dans la mer, ce Mer intérieure, publié à l’Observatoire, a de quoi réjouir le lecteur, passionné par elle ou non. Pour avoir lu ses précédents romans, on savait le romancier-journaliste lié sensuellement aux profondeurs marines. Ici, il fait œuvre original, mêlant habilement plusieurs registres pour l’évoquer, l’autobiographique, le scientifique, le politique, l’artistique, le mythologique, le biblique, le littéraire. Un « petit musée liquide » comprenant plusieurs strates, dans une idée melvillienne du roman.
Quel amour pour la mer ! Et servi d’une plume, d’un style qui selon l’auteur, paie sa dette à celle qui lui donne et donna tant.
Des pages personnelles, d’abord. De cet enfant né et qui a grandi au Havre. Écoutez-le : « Depuis, précisément, que je suis né près d’elle, il y a bientôt un demi-siècle, avant d’aller, chaque jour de mon enfance, puis de mon adolescence, la contempler par tous les temps, pédalant sur mon VTT à travers les champs jusqu’à la falaise, le balcon naturel où elle s’offrait toute nue (que ce « toute nue » est bien trouvé). Oui, au bout de la route, c’était elle, la mer, grise ou verte, calme ou agitée, sillonnés de cargos qui, dans la nuit qui tombait, jouaient les lucioles à l’horizon. » Prose d’écrivain, sans conteste.
Dettes aussi, à son père, à son grand-oncle, à son grand-père paternel, des passeurs de mers, chacun à leur manière. Ce dernier par exemple, ancien ouvrier des chantiers navals et de la raffinerie de pétrole du Havre, qui lui racontait aux déjeuners du dimanche des histoires de marins. Son grand-oncle Louis, dit Loulou, n’est pas en reste, dans le genre personnage. Deux tours du monde, des Paris-New York sur des paquebots, où il avait la charge de l’imprimerie du journal de bord, L’atlantique. Le royaume de son père, comme il le désigne lui-même : l’estran. Difficile de ne pas être ému quand il raconte dans une belle naïveté pagnolesque, la pêche aux tourteaux, avec ce père qui « tel un géant, s’emploie à soulever les lourdes roches ».
Cinquante ans plus tard, celui qui ne rêvait que de fuir le Havre pour vivre la grande vie à Paris, gommant comme il le pût, pendant longtemps, ses origines havraises, se souvient comme on se souvient de l’être le plus cher qu’on ait perdu.
De ses sandales ailés, Hermès-Ono-dit-Biot nous fait découvrir à partir de multiples points de vue, cette baleine qu’est la mer et qui toujours nous échappe.
Le romancier passe naturellement par la mythologie grecque, une autre de ses passions, comme les lecteurs du Point le savent. Il y a, évidemment, Homère, qui comme tous les Grecs, considère la mer comme dangereuse, « grise », « violette », « noire », « vineuse », mais jamais bleue, remarque l’auteur, (il faudra attendre les Romains) ; il y a Poséidon, à qui Ono-dit-Biot règle son compte, Dieu râleur non satisfait d’avoir reçu la mer en cadeau, lui qui désirait le ciel, échu à Zeus ; on croisera aussi les Roméo et Juliette de la nage, Léandre et Héro, et un chapitre très intéressant sur le chant des sirènes, qui, à rebours des clichés, représenterait le désir de savoir…Libido sciendi !
Son bestiaire n’est pas moins remarquable, et non sans maestria, l’essayiste passe de poésie en science, de littérature en politique. Pour ne donner que quelques exemples, évoquons le dauphin. Aimé, que dis-je, adulé le long des siècles, Ésope, la Fontaine, le dieu Apollon qui aurait donné son nom au sanctuaire de Delphes ! Ou le poète Oppien qui dans son poème de trois mille cinq cents vers qui prévient qu’un homme qui tue un dauphin « entache de son crime tous ceux de la maison ». Las, le romancier tue un mythe : le dauphin viole, commet des infanticides ! Ono-dit-Biot signe ailleurs un chapitre, si je puis dire, savoureux, sur le poulpe. Ce poulpe honni, assimilé à la pieuvre, comme Hugo le fit en 1866 dans ses Travailleurs de la mer. Non, écrit l’auteur tout à son combat pour changer l’image de cet invertébré aux trois cœurs et aux neufs cerveaux ; céphalopode caméléon capable de dévisser un couvercle de pot pour s’emparer d’un petit crabe appétissant ; capable, menacé, de propulser un nuage d’encre, en lui donnant l’apparence du prédateur qu’il attaque. Impressionné par ce tout-mou, l’auteur s’est juré de ne plus jamais manger ce délicieux animal ; il se contentera du verre d’Ouzo ! A ce jour, il a tenu promesse. Mais pour combien de temps encore ?
Et sa défense du requin est ardente, là aussi tordant le cou à une idée reçue : 12 morts par an à cause d’eux, alors que le grille-pain tue 700 personnes par an ! 70% d’entre eux ont été décimés depuis les années soixante-dix, pour qu’une élite asiatique puisse déguster à des prix déraisonnables leurs ailerons, qui posséderaient des vertus aphrodisiaques. Ono-dit-Biot se montre très en colère, colère qui traverse le livre, face à la mer qui peu à peu dépérit, rendue malade à cause de la négligence, de l’irresponsabilité de l’homme. Ce n’est pas une des moindres qualités de ce livre, que d’aiguiser notre conscience écologique. Demain, on vote Ono-dit-Biot, les yeux fermés.
La fin du voyage est un feu d’artifice : Stevenson, Melville, Jules Verne sont convoqués ; Long John Silver, Achab (réhabilité par le romancier de bien belle manière), Nemo (misanthrope compréhensible mais condamnable). Le lecteur nage en plein bonheur ! Il nous embarque aussi du côté de l’art ; Yves Klein. Son bleu créé avec son marchand de couleur, Edouard Adam. En Italie, à Assise, en 1948, Klein se pâme d’admiration devant les fresques de Giotto. Devant le bleu des fresques, venant du pigment obtenu par le broyage d’une pierre précieuse afghane : le lapis-lazuli, dont le nom latin est ultra-marinus (au-delà des mers). Ono-dit-Biot avec ce livre nous fait un beau cadeau ; une perle rare
Édito général
Christophe Ono-dit-Biot, esthète en quête de mer