À travers une maîtrise du rythme et des matières, l’artiste américain Raymond Saunders raconte chez David Zwirner le monde qu’il traverse. Remarquable.

Sur de grandes toiles recouvertes d’un noir profond apparaissent des fleurs. Des taches rose vif se mêlent à la blancheur éclatante, parfois laiteuse, de leurs pétales. D’autres orangées dévoilent un cœur vert. Leurs formes floues et leurs matières picturales en mouvements figés attirent. Certaines s’apparentent à de la cire, d’autres ont la légèreté de l’aquarelle. Raymond Saunders explore l’acrylique, étire sa texture, la jette sur la toile, créant ici et là des giclures, laisse la matière couler ou le support l’absorber. Et puis il y a ces traits de craie, telles des ébauches, qui dessinent les tiges, les feuilles, qui relient les fleurs. L’artiste ne sature pas la surface. Il s’arrête lorsque l’harmonie rythmique est là, telle l’œuvre When I Was a Kid I Had a Garden de 1995, un fond noir sur bois, deux fleurs peintes, tout le reste simplement esquissé.

L’exposition monographique parisienne de l’artiste américain Raymond Saunders annonce sa nouvelle collaboration avec le galeriste américain David Zwirner. Et fait suite à son exposition personnelle à la galerie new-yorkaise, avant une importante exposition personnelle dans sa ville natale au Carnegie Museum of Art de Pittsburgh. La sélection se focalise à Paris sur deux ensembles, celui des fleurs et celui des portes. Un second ensemble de fleurs se déploie au fond de la galerie. Réalisé à l’aquarelle sur papier, il semble à première vue que tout l’oppose au premier. Des lys sauvages flottent librement dans un petit espace blanc sans contrainte. Ils rappellent la liberté qui émane des fleurs peintes par Cy Twombly, figure incontournable de l’expressionnisme abstrait. Tandis qu’on pense aux subtils lys de l’attentif artiste français Patrick Neu. Pourtant ces acryliques noires et ces aquarelles blanches ont cela en commun qu’elles captent des instants de vie, grâce à des gestes guidés par l’instinct et le désir d’expérimenter. L’artiste réussit à suspendre le temps.

Un autre ensemble de pièces exposées révèle à nouveau l’importance de l’expérience dans le travail de l’artiste américain. Sur des portes glanées à Paris, où il passe de longs moments dans les années 1990 – 2000, l’artiste colle, assemble des éléments collectés dans la ville. Elles témoignent de la rencontre de l’homme avec un contexte, une ville, une société, une vie artistique. Raymond Sanders s’inscrit ici dans la lignée des cubistes et de leurs collages, fait écho aux Combines Paintings de Rauschenberg (ou l’inverse, dira-t-il à un journaliste lors d’une interview à San Francisco en 1994). Là encore ses créations témoignent d’un esprit vif, ouvert, d’un désir de rencontres entre les matériaux, les styles, les lieux, les gens, les histoires de l’art et de la vie. Ses œuvres racontent une pensée en action qui se développe au fil des déplacements, à partir de détails a priori anodins, grâce à une curiosité insatiable. Il est à l’image du titre de l’un de ses tableaux Passing By and Always Curious.

Raymond Saunders, Déménagement, Galerie Zwirner Paris, Jusqu’au 22 mars, www.davidzwirner.com

Visuel : When I Was a Kid I Had a Garden, III, 1995 © Estate of Raymond Saunders.