Olivier Py et Bertrand de Roffignac offrent avec Peer Gynt  une pièce-opéra d’une férocité très contemporaine et d’un imaginaire exaltant. 

Il est de chaque scène ou presque : Peer Gynt s’avère un feu-follet inépuisable. Enfantin et roublard, somptueux et pathétique, lâche et fidèle à lui-même, Peer Gynt demeure au cours des trente ou quarante années que durent cette histoire, un héros en perpétuelle métamorphose. Bertrand de Roffignac qui l’incarne, trouve dans cette recréation de la pièce d’Ibsen un terrain de jeu acrobatique et théâtral qui lui a permis, ce soir de première, d’être longuement applaudi par un public debout. C’est vrai qu’au cours des près de quatre heures de représentation, il n’a presque jamais quitté le plateau, devenant tour à tour fils indigne, prince des trolls, prophète, marchand d’esclaves…Et ce au rythme de la musique de scène de Grieg, donnée ici de manière exceptionnelle avec la pièce. Elle est jouée par le large orchestre de chambre de Paris, en fond de scène,  et traversé par un jeu d’ombres permettant aux musiciens d’entrer dans la scénographie.  Ceux qui connaissent la pièce d’Ibsen, régulièrement mise en scène, seront sans doute étonnés de découvrir comme la musique de Grieg, écrite pour la pièce mais donnée la plupart du temps à part, porte la folle course de l’antihéros Peer fuyant sa mère, son village, et toute forme de destin. 

Sur scène, peu de décor : de simples cabanes pour figurer le village, une longue cabine pour la noce, une estrade pour figurer le monde des trolls… Le plateau est à l’os, pour laisser libre place à la musique, et à la fureur de vivre de Gynt, et des personnages grimés qui l’embarquent à chaque acte dans une nouvelle aventure. Il faut saluer autour de Bertrand de Roffignac la formidable troupe, de Damien Bigourdan à Sevag Tachdjian ( la scène du prêtre  vaut à elle seule d’aller voir cette pièce), de Céline Chéenne, mère rude et émouvante ( la scène de bascule de la mort d’Ase, sans doute l’une des plus belles scènes du théâtre européen, est ici porté avec vigueur par cette petite femme si peu prête à mourir) à  la soprano Raquel Camarinha en Solveig, et le terrifiant fondeur Emilien Diard-Detoeuf. Tous campent, en jouant, dansant ou chantant, aussi les trolls, les danseuses du désert, les fous de l’asile…L’énergie de Peer/ Roffignac circule parmi tous les acteurs, dont Py lui-même qui apparaît ici et là, et permet à cette pièce de se faire avant toute chose hymne au théâtre de troupe. 

L’homme qui a choisi de ne pas choisir

Mais on sait à quel point cette pièce repose sur l’acteur central, et sur la vision qu’il offre du héros d’Ibsen. Roffignac a choisi d’en faire un hâbleur, quitte à déclamer lorsqu’il le faut, un roublard, et, ce qui est sans doute le plus intéressant, une figure onirique, proche d’un Puck du Songe d’une nuit d’été, ou d’un clochard céleste de KerouacIl est celui qui part, craignant à tout va « la médiocrité », mais il est aussi celui qui réinvente, par ses rêves et son immoralité, la réalité ambiante. La traduction d’Olivier Py donne à la langue d’Ibsen une résonnance crue et directe, qui donne aux instants comiques un côté franchement burlesque, et aux moments pathétiques, une dimension humaine renouvelée. 

 Cette mise en scène de Py, à mi-chemin du rêve et de l’opéra, campe un Peer Gynt existentialiste :  homme qui choisit de ne pas choisir, ni de femme, ni de métier, ni de vie, échappant à ceux qui voudraient l’assujettir à une simple identité. Olivier Py signe une ode à la fuite, seule possibilité de vivre. Et un si beau spectacle. 

Peer Gynt, d’Henrik Ibsen et Edvard Grieg, traduction et mis en scène Olivier Py, Théâtre du Châtelet,  jusqu’au 17 mars.