Mêlant musique, jeu et chant, Amos Gitaï revient sur cette figure mythique qui l’obsède depuis longtemps dans un spectacle polyphonique d’une beauté prenante.

Il pousse un cri comme un bébé à peine sorti du ventre de sa mère. Vu sa taille immense, ses bras musclés, ses jambes épaisses et sa peau argileuse, il est évident que cette créature étrange n’est pas née d’une femme. Un homme lui a donné le jour, ou plus précisément un rabbin en la façonnant avec de la poussière et quelques formules mystérieuses. « Je ne savais pas que tu avais des talents de sculpteur », s’étonne son assistant avant de voir quelque peu effrayé le personnage s’animer. En mettant en scène Golem, son nouveau spectacle présenté en ce moment au théâtre de la Colline à Paris, Amos Gitaï a pris soin de ne pas faire intervenir ce héros improbable avant d’avoir installé la situation qui justifie sa présence. Un juif est accusé d’avoir volé une enfant pour l’égorger et utiliser son sang pour faire du pain. Un juge interprété par Micha Lescot instruit le procès avec derrière lui un officiant qui régulièrement frappe le sol avec un crucifix. Le juif a beau clamer son innocence, l’affaire semble mal engagée ; son accusateur ayant tout intérêt à ce que l’enfant ne soit pas retrouvé car ainsi il héritera de sa fortune.

Cette nouvelle d’Isaac Bashevis Singer s’insère dans une trame dramaturgique construite comme une constellation mêlant récits, réflexions, chants, musique et des textes en relation plus directe avec cette figure mythique de la tradition juive qu’est le Golem. Le spectacle ouvre sur un extrait de Tsili, film d’Amos Gitaï d’après le roman d’Aharon Appelfeld. Après quoi acteurs, chanteurs et musiciens prennent place au sein d’un espace jonché de vêtements tombés des cintres. C’est là qu’Irène Jacob évoque la légende du Golem dont l’origine remonte au IIIe siècle quand un homme désespéré, accablé par toutes sortes de contrariétés – difficultés économiques, ennemis – fabrique à partir de terre glaise et d’une combinaison de mots et de lettres un être qui va lui rendre des services. Ce qui intéresse Amos Gitaï dans cette légende qui n’a cessé de s’enrichir au fil des siècles, c’est ce que représente pour chacun de nous le Golem. Un être censé nous aider, nous obéir, mais qui peut aussi s’avérer incontrôlable. Il y a dans le Golem quelque chose qui rappelle la fonctionnalité du robot, mais aussi une présence quasi humaine, comme un compagnon secret.

Le spectacle brasse ces notions en s’appuyant sur des récits parfois d’une violence extrême comme Le Baiser et La Croix de Lamed Shapiro où des pogroms sont décrits de l’intérieur. Ces moments d’une horreur insoutenable décrivent un contexte émotif d’une grande puissance à quoi les mots de Joseph Roth dans ses préfaces de 1927 et 1938 à son livre Juifs en errance font écho quand il dit notamment que « le racisme ne connaît pas de compromis ». À cela le spectacle répond en mêlant différentes langues : français, espagnol, anglais, hébreux, arabe… Et surtout yiddish, langue qu’on entend rarement au théâtre, qu’Isaac Bashevis Singer dit avoir choisi pour écrire son œuvre parce que « tous les fantômes adorent le yiddish et le parlent couramment » et aussi parce que c’est « une langue en exil, sans pays, sans frontières ». Dans une séquence particulièrement intense, alors que la scène est envahie de flammes, les acteurs se transforment tout en Golem, corps couverts d’argile. Plus tard ils diront chacun à leur manière ce que représente pour eux la notion de « golem ». Comme si, après avoir traversé les épreuves évoquées dans le spectacle, ils se mettaient à nu révélant un peu d’eux-mêmes et de leur fragilité.

Golem, de Amos Gitaï et Marie-José Sanselme, mise en scène Amos Gitaï. Jusqu’au 3 avril au théâtre de la Colline , Paris (75020)