Trois opéras viennent d’ouvrir le festival de l’Opéra de Lyon, dont deux très contemporains, aux mises en scènes superbes, signés Alice Laloy et Pauline Bayle. Au même moment, Richard Brunel et son équipe annonçaient la prochaine saison.
En ce samedi 15 mars, l’Opéra de Lyon poursuivait son festival lyrique, intitulé cette année, « Se saisir de l’avenir », tout en dévoilant une saison 25/26 à la ligne directrice simple : la beauté. Ainsi l’affirme le titre du prochain festival lyrique, « Parier sur la beauté ». Nous étions donc pris en tenaille entre l’avenir et la beauté au cours de cette ouverture qui présentait trois créations, La Force du destin, vendredi, et ce samedi, la jeunesse était de rigueur, avec L’Avenir nous le dira, signé Diana Soh et Alice Laloy, et 7 minutes, pièce de Stefano Massini, mis en musique par Giorgio Batistelli et en scène par Pauline Bayle. Ouvrant sa conférence de presse sous les verrières du Grand Théâtre de la place de la Comédie , alors que face à nous, la Basilique Notre Dame de Fourvière se dressait hiératique dans la brume, Richard Brunel a commencé par confier son inquiétude face au « désengagement » de certains acteurs publics, dénonçant là les coupes dans le budget de la culture dans différentes régions françaises, mais aussi, plus largement, le mépris et de certaines figures politiques, Trump en tête, pour le milieu culturel. Ce n’est pas rien de prendre ce ton d’inquiétude et de combat, au cœur même d’un festival qu’il a voulu cette année résolument tourné vers la jeunesse et la création. Puis, se réjouissant de la fréquentation de la saison passée, d’une moyenne de 90% de remplissage, Richard Brunel a ensuite présenté une saison qui, de Boris Godounov à Billy Budd, promet du grand art lyrique. Peut-être est-ce d’abord le choix d’œuvres rares, parfois non jouées à Lyon depuis plus de cinquante ans, comme Louise de Charpentier, qui frappe en premier lieu dans cette programmation. Ainsi, elle s’ouvre en octobre par Boris Godounov de Moussorgski : s’il est célèbre, l’opéra a été peu donné à Lyon, et ici avec une très belle distribution, russophone, notamment le chanteur Dmitri Ulyanov en rôle-titre. Mais c’est ensuite Louise en janvier qui retiendra notre attention, opéra du début du XXe siècle qui fut culte puis étrangement oublié, et qui constituera une des ouvertures du Festival d’Aix-en-Provence, avec l’enfant du pays lyonnais, la soprano Elsa Dreisig, dans le rôle-titre. Elle qui, il y a quelques années, chantait dans la Maîtrise de l’Opéra de Lyon, s’impose aujourd’hui comme l’une des chanteuses françaises les plus en vue. S’ensuivra en mars 26, une Manon Lescault mise en scène par Emma Dante, et un Billy Budd, merveille musicale et théâtrale signée Benjamin Britten, qui seront sans nul doute les deux opéras les plus audacieux de l’année à Lyon. Du côté de la danse, le programme s’avère aussi ample pour le Ballet de l’Opéra de Lyon que l’on ne cesse de voir sur les scènes européennes. Co-programmé avec La Biennal de la Danse, Nuits transfigurées ouvrira la saison, avec une œuvre poignante d’Anne Teresa de Keersmaeker sur Debussy, accompagné de Mercedes Dassy et Katerina Andreou : toutes trois nous mèneront dans une vie nocturne envoûtante.
L’avenir appartient aux enfants
Pour revenir au présent, enfin à ce qu’il promet du futur, la création signée Alice Laloy et Diana Soh s’offrait en première ce samedi après-midi au TNP de Villeurbanne. L’Avenir nous le dira mettait en scène la Maîtrise de l’Opéra de Lyon, une trentaine de jeunes chanteurs, une dizaine d’années en moyenne, dans une fable onirique sur le temps, et sa consistance. Et plus profondément, sur la possibilité de lire l’avenir, d’en ressentir les effets, d’en déterminer les formes. Sujet ample, philosophique par nature, qui devenait dans ce spectacle une invitation à la dérive, au jeu, et un hymne à l’intuition. Bref, un domaine réservé aux enfants. Car qui, sinon les nouvelles générations, pour connaître et deviner l’avenir ? N’est-ce pas même ce qui occupe le plus la tête d’un enfant, savoir de quoi demain sera fait ? La scénographie mettant à nu la charpente d’acier du théâtre, et créant un labyrinthe de métal sur scène, répondant avec finesse à la mise en scène qui faisait apparaître chaque chanteur, ici dans une loge du théâtre, là dans un carton, créant un effet de surprise permanente. Cet art de l’impromptu, qui s’allie si bien à la mise en scène d’enfants, Alice Laloy l’approfondit de spectacle en spectacle, depuis le fabuleux Pinocchio ! où, mêlant enfants et marionnettes, elle affirmait son univers intrigant. Cette mise en scène ludique et sophistiquée est la grande réussite de ce spectacle, porté par une Maîtrise saisissante de technicité. La musique de Diana Soh, crée entièrement sur scène par les bruits des objets qui s’entrechoquent, dans un art lancinant et répétitif a le mérite de faire corps avec la mise en scène, ou plutôt de lui donner corps. Les paroles livrent elles une dimension incantatoire, que l’on aurait peut-être aimé moins présente, dans la mesure où le spectacle vaut par son mystère, et son enfance.
L’heure du choix
Enfin, le spectacle du samedi soir, dans la grande salle de l’Opéra, interprété par l’Orchestre de l’Opéra, (qui la veille encore jouait Verdi…), poursuivit cet art réflexif et singulier. 7 minutes signé Stefano Massini est à l’origine une pièce de théâtre chorale qui voit onze ouvrières et employées d’une usine débattre pendant deux heures d’une question : doivent-elles accepter de renoncer à sept minutes de leur temps de pause quotidienne pour garder leurs emplois, tel que le leur proposent les « cravates » qui composent la direction de l’usine ? Ces femmes forment elles aussi un « conseil » représentatif des deux cents ouvrières de l’usine, en difficulté. Sur ce sujet sévère, presque technique, Massini a construit avec la virtuosité théâtrale qu’on lui connaît, une pièce vivante, âpre, dénuée de discours, mais demeurant toujours à fleur de peau et d’individu. Giorgio Batistelli a composé une musique qui, si elle accentue la dimension dramatique de certains passages, demeure la plupart du temps en retenue, pour laisser vivre ces femmes. Tout comme la mise en scène de Pauline Bayle qui trouve là une vraie maîtrise de l’opéra, en ayant visiblement pensé les places des femmes sur scène, leurs manières de piétiner, tourner en rond, ou, lors d’instants chorégraphiques, de s’échapper de ce piège que constitue peu à peu la décision à prendre. Car il s’agit bien d’un huis-clos dans lequel ces personnages doivent décider de leur avenir, sous une pression que la musique et la mise en scène accentuent au fil du spectacle. Ces ouvrières ont chacune un parcours singulier, dont on sait peu de choses, mais assez pour les différencier : deux sont immigrées, iranienne et de l’est, l’une est très jeune, dix-neuf ans, d’autres ont trente ans d’usine derrière elles. Et puis il y a l’opposition entre les employées qui ont « des chiffres dans la tête », et les ouvrières qui travaillent de leur main. Sans jamais leur confier une parole qui ne serait pas la leur, appliquant un naturalisme rigoureux, Massini donne corps et âme à ces femmes qui sont placées à l’heure du choix. Car la question n’est pas seulement celle de la pause à rogner, mais de la dignité à garder ou à troquer contre un salaire. Et, peut-être plus fondamentalement, la question est celle du prix que coûte la tête baissée dans une existence. Mais nous interpelle Massini, ces femmes ont-elles le choix ? Qu’est-ce qu’un choix pour celui qui doit gagner sa vie à tout prix ? 7 minutes appartient à ces œuvres qui vous interpellent longtemps.
L’Avenir nous le dira, Diana Soh et Alice Laloy, interprété par La Maîtrise de l’Opéra de Lyon, TNP de Villeurbanne jusqu’au 23 mars, Opéra National de Lorraine, 4 et 5 avril.
7 minutes, de Stefano Massini, Giorgio Batistelli et mise en scène de Pauline Bayle, Opéra de Lyon, jusqu’au 29 mars.