La nouvelle production des Pêcheurs de Perles à l’Opéra de Dijon, en co-production avec l’Opéra de Toulon, propose d’entrer dans l’imagination de Georges Bizet.
L’amitié entre deux jeunes hommes, le souvenir commun d’une « déesse » dont ils étaient tous deux épris, le vœu de renoncer à cet amour pour préserver leur amitié, puis la révélation de l’amour entre la déesse et l’un d’eux, suivie d’une scène d’exécution pour le sacrilège commis dans un lieu sacré… L’intrigue se déroule sur une île de Ceylan imaginaire, à une époque où l’orientalisme battait son plein. Telle est l’histoire des Pêcheurs de perles, opéra composé par un Georges Bizet de 24 ans. Prix de Rome cinq ans plus tôt, il n’aura qu’une décennie pour s’imposer à peine avant de mourir prématurément à 36 ans. Commandé par Léon Carvalho pour le Théâtre-Lyrique, ce projet bénéficiait des subventions d’État destinées aux jeunes Prix de Rome. Une leçon précieuse pour aujourd’hui : la subvention peut encourager la création d’œuvres ambitieuses !
Ambitieux, l’opéra l’est par un flux continu, où les récitatifs se confondent parfois avec les airs, un procédé qui s’approche du genre du grand opéra, réservé au temple de l’art lyrique : Opéra de Paris. Ce choix, jugé prétentieux à l’époque, confère pourtant à l’œuvre une fluidité dramatique saisissante.
Au centre du drame, deux amis : Nadir, incarné par Julien Dran, dont le timbre clair et sensuel confère à son rôle une grande justesse, et Zurga, interprété par Philippe-Nicolas Martin, qui impose par sa voix puissante et son intonation impeccable. Nathanaël Tavernier, en Nourabad, exprime toute l’autorité du grand prêtre. En revanche, Hélène Carpentier, alias Leïla, tend à chanter constamment légèrement haut et force parfois sa puissance vocale, ce qui crée un déséquilibre au sein de ce quatuor. Sous la baguette de Pierre Dumoussaud, l’Orchestre Dijon Bourgogne fait preuve d’une subtilité de nuances sans jamais perdre de vigueur. À noter le magnifique hautbois solo qui précède le fameux Romance de Nadir. Le chœur, dirigé par Anass Ismat, apporte une dimension magistrale à cette production, offrant un effet de masse envoûtant.
Dans sa mise en scène, Mirabelle Ordinaire fait apparaître Bizet dans son appartement parisien, en pleine composition. À travers sa fenêtre, l’Opéra Garnier en construction devient, dans l’imagination du compositeur, un sanctuaire indien. Les échafaudages se transforment en chambre sacrée de la déesse, une idée astucieuse qui tente de s’éloigner des clichés exotiques. Cependant, le fait que Bizet/Zurga reste vêtu d’un habit de chambre tandis que Leïla est parée à l’indienne renvoie à l’image d’une supériorité occidentale, surtout dans le contexte du XIXe siècle, contrairement à l’intention de la metteuse en scène. De plus, les chanteurs souvent en position statique aux côtés des danseurs-acrobates aux mouvements fluides, produisent une impression bancale.
Malgré cette étrangeté, la production parvient à capter l’essence dramatique de l’œuvre et offre une interprétation musicale de grande qualité. Une lecture qui, tout en suscitant des interrogations, transmet avec éloquence la puissance de la partition de Bizet.
Les Pêcheurs de perles, de George Bizet, direction musicale Pierre Dumoussaud, 19, 21, 23 mars à l’Auditorium de Dijon
Crédit photo ©Mirco Magliocca_Opéra de Dijon