Première exposition parisienne de la grande artiste coréenne Jongsuk Yoon, le show organisé chez Marian Goodman révèle, entre abstraction et figuration, une œuvre picturale éclatante de couleurs…

Elle vit depuis une trentaine d’années à Düsseldorf où elle a puisé à ses débuts la force tellurique de l’expressionnisme allemand. Jongsuk Yoon ( « La cloche du matin » en coréen) est une femme d’aspect très juvénile, chaleureuse et souriante, volontiers disserte mais avec une attention bienvenue aux détails : aux réponses à mes questions dans un bureau de la galerie Marian Goodman, elle tiendra plus tard à m’envoyer des petites précisions. Une erreur d’interprétation en anglais entre une Coréenne d’adoption germanique et un Français est si vite arrivée. Méfions des apparences : Jongsuk Yoon n’est pas très grande à l’inverse de ses immenses toiles. Sa tenue – noire de la tête aux pieds – n’annonce pas non plus la couleur : et pourtant l’univers de cette travailleuse solitaire dérive vers de continents chaleureux où le jaune pâle, le bleu ciel, le vert tendre dominent pour former une fascinante palette aux évidentes vertus rassérénantes. Se poser devant cet ensemble formant ce que Jongsuk Yoon nomme les « paysages de l’esprit » plonge le visiteur dans une variété de narcose bienveillante. Chacun verra comme il se doit ce qu’il voudra y voir dans un art se situant à la croisée de l’Expressionnisme abstrait occidental et de la tradition picturale asiatique. Far East, le titre de l’exposition, nous donne cependant une clé. La clé des champs pour nous évader en direction des montagnes de l’enfance de l’artiste, qu’elle ne cesse de revisiter en rêve là où elle vit et travaille, au bord du Rhin. Entretien.

Jongsuk Yoon, à Paris le 11 mars 2025, pour Transfuge. © Laura Stevens // Modds

Vos travaux d’il y a quelques années étaient plus sombres. Comment expliquez-vous ce changement de cap ?

Au départ, j’ai été influencée par les expressionnistes allemands aux couleurs sombres comme Max Beckmann. Mais d’une venue à Paris il y a quelque temps j’ai beaucoup observé au Musée d’Art moderne et au Centre Pompidou les Matisse, les Vlaminck, les Derain. Ces artistes m’ont impressionnée parce qu’ils n’hésitaient pas à placer côte à côte des couleurs que l’on ne s’attend pas à voir aussi proches sur une toile comme le rose et le rouge, par exemple. Les fauves osaient des choses qui rendaient leurs peintures si joyeuses et si fraîches ! Je les aime beaucoup. Van Gogh aussi n’a pas hésité à tenter des trucs très forts dans les proximités de couleurs. Les fauves m’ont tellement stupéfiée que j’ai décidé de changer d’univers en m’ouvrant à des couleurs plus lumineuses.

Le choix des couleurs franches de vos grandes toiles exposées chez Marian Goodman Paris peut effectivement paraître audacieux à première vue, mais cela fonctionne très bien. Rien ne vient heurter le regard. Comment expliquez-vous cela ?

J’aime dire qu’un tableau est comme une symphonie dans laquelle vous découvrez à l’oreille une succession de tonalités en apparence antinomique, du registre léger au registre grave. En musique comme en peinture, c’est l’opposition et la complémentarité des tonalités qui rend l’ensemble riche. Le jaune que j’utilise beaucoup est très important à mes yeux car je trouve que c’est une couleur d’une grande richesse et d’une grande fraîcheur. De plus, selon moi, la couleur jaune possède une vertu thérapeutique évidente.

À propos de thérapie, pensez-vous que l’art vous aide à supporter la vie ?

Bien sûr, l’art me connecte à la vie en lui donnant un sens. Chaque fois que je me promène quelque part, j’observe la couleur des feuilles d’arbres, les différentes teintes de vert d’un paysage, les bleus du ciel. Tout me rattache à l’extraordinaire profusion des possibilités d’apprécier l’existence. Je ne sais pas ce que j’aurais fait dans la vie si je n’avais pas ce don. Je vis seule depuis mon divorce, et je ne m’en porte pas plus mal. Je suis très heureuse de ma solitude. Je dis toujours que si l’on me donnait le choix de recommencer à zéro, je n’hésiterais pas une seconde. Être artiste est le métier le plus parfait dont je puisse rêver.

La suite de l’entretien est à découvrir dans le dernier numéro de Transfuge

Far East, galerie Marian Goodman Paris, jusqu’au 10 mai

Photo : White Lake, 2025, Gouache on paper, 65 x 92 cm, Copyright: Jongsuk Yoon, Courtesy of the artist and of Marian Goodman Gallery Photo credit: Rebecca Fanuele