Formidable roman que signe Richard Russo, avec Le testament de Sully. Confirmant qu’il est un des grands auteurs américains de sa génération. Rencontre avec un humaniste, de plus en plus pessimiste.

1993. Avec Un homme presque parfait de l’américain Richard Russo, la cartographie imaginaire mondiale voyait éclore une nouvelle ville : North Bath. Elle est inspirée des lieux où l’auteur a grandi, dans l’Upstate New York. Au centre de cette ville en déclin et ignorée de tous, un certain Sully, perdant magnifique qui sera par la suite incarné au cinéma par rien moins que Paul Newman dans une adaptation de Robert Benton. Dès son entrée en littérature, Richard Russo déployait avec maestria tout ce qui fait le sel des romans : une foisonnante galerie de personnages dont chacun existe avec éclat, des dialogues incisifs et touchants, et surtout un plaisir ardent à raconter des histoires à profusion, à les entrelacer pour tenter de comprendre avec compassion et ironie les méandres de l’humaine condition. Couronné par le Pulitzer pour Le Déclin de l’Empire Whiting (2002), Richard Russo est aujourd’hui l’auteur d’une quinzaine de livres, et de plusieurs scénarios. Retourne-t-on toujours à ses premières amours ? Deux autres romans situés à Nort Bath ont suivi au fil des années : A malin malin et demi (2019), puis Le Testament de Sully, qui vient d’être traduit en français. Sully est désormais mort, non sans laisser à ses proches des listes d’être​s sur lesquels ils doivent veiller. La découverte d’un cadavre va secouer la petite communauté…

Pourquoi avoir choisi de retourner à North Bath, cette ville de votre invention, alors même que vous avez tué votre héros dans le roman précédent ?

Je voulais retourner à North Bath pour passer plus de temps, non seulement avec les personnages qui y vivaient, mais aussi avec les gens qui me les avaient inspirés. Je n’ai jamais caché que Sully est inspiré de mon père, avec qui je n’ai pas passé autant de temps que je l’aurais souhaité. Mes parents se sont séparés quand j’étais enfant et il ne m’a jamais montré beaucoup d’intérêt tant que je n’ai pas été capable de m’asseoir au tabouret de bar à côté du sien (18 ans, à l’époque dans l’État de New York). C’était un merveilleux baratineur, et ses amis aussi – dont certains se sont frayés un chemin dans cette trilogie. Lui et moi sommes devenus très proches quand je suis revenu dans l’Upstate New York, quand j’étais étudiant, pour travailler avec lui l’été sur des chantiers de construction de route. Nous sommes demeurés proches jusqu’au jour où on lui a diagnostiqué un cancer du poumon, qui l’a emporté beaucoup trop jeune. Écrire sur Sully m’a autorisé à passer davantage de temps en sa compagnie. Mais aussi avec Paul Newman, qui l’a si magnifiquement incarné, et Philip Seymour Hoffman, qui jouait le jeune inspecteur Raymer.

A travers Sully, qui hante le roman, vous explorez l’absence, et ses répercussions…

C’est vrai, Sully hante ces romans, autant que mon père hante ma propre vie. J’ai eu 75 ans cet été, et plus vous vieillissez, plus les fantômes sont nombreux dans votre vie, plus vous êtes enclin à vous retourner sur ce que vous avez perdu.

La suite de l’entretien est à découvrir dans le dernier numéro de Transfuge

Richard Russo, Le testament de Sully, traduit de l’Anglais (Etats-Unis) par Jean Esch, Quai Voltaire, 544p., 24€