Jean-Pierre Montal livre une hagiographie de cet acteur culte, agrémentée de longs entretiens de Maurice Ronet avec son ami Hervé Le Boterf, de 1977. À lire de toute urgence.

« On est toujours connu pour de mauvaises raisons » avait coutume de dire Maurice Ronet. On imagine l’acteur prononçant cette phrase énigmatique dans un demi-sourire charmeur, la voix grave et l’œil bleu acier.
On se souvient de lui, bien sûr, avec son ami Delon, éblouissants en 1960 sur leur voilier en acajou, exaspérant Marie Laforêt sur le tournage de Plein Soleil de René Clément ; et encore Delon, au bord de La Piscine de Jacques Deray, avec Romy Schneider et Jane Birkin, en 1969. Le définir en quelques mots ? Présence irradiante à l’écran quoique distance raffinée, désinvolture chic et séductrice, comme s’il s’effaçait pour laisser la vedette à d’autres que lui ; intello impénétrable, il lisait encore et encore, relativisant son « job » d’acteur tout en idéalisant le cinéma muet ou l’ésotérisme.
Né à Nice en 1927 d’une famille de comédiens, huit ans plus vieux que Delon et six ans plus vieux que Bébel, Maurice Ronet est né « trop tôt ». « Nous étions trop jeunes pour avoir fait la guerre et trop vieux pour déplorer de ne pas l’avoir faite. Une foutue génération dont les adultes et les pouvoirs publics ne se sont guère souciés au lendemain de la Libération ».
Jean-Pierre Montal résume le cas Ronet : « Plein soleil et À bout de souffle de Godard sortent sur les écrans français à une semaine d’intervalle. Deux succès. Delon et Belmondo amorcent leur prise de contrôle des castings français. Entre eux, se tient Ronet. En haut de l’affiche, mais sans la fringale des deux autres ». A Hollywood, il refuse Lawrence d’Arabie et rentre illico presto à Paris pour faire la fête, voir des femmes et boire le champagne de chez Castel. Et pour refaire le monde avec Jean-Charles Tacchella et Roger Vadim, Daniel Gélin, Christian Marquand, Roger Nimier et Antoine Blondin. « Cigarettes, whisky et petites pépées », chantait Eddie Constantine en 1957…
Louis Malle avait dirigé Ronet dans Ascenseur pour l’échafaud en 1958, porté par Miles Davis. Dans Le Feu Follet (1963), Erik Satie accompagnait cette fois Ronet dans la déprime d’un noir & blanc cotonneux. Adapté de la fable crépusculaire de 1931 de Pierre Drieu La Rochelle. Jean, le frère de Drieu : « Je n’oublie pas Maurice Ronet dont le ton m’a étrangement rappelé les hommes de 1930 et mon frère lui-même ». Dans ce rôle d’alcoolique suicidaire, Ronet jouerait-il une version tragique de sa propre vie ? « Je fais acteur en attendant de trouver autre chose », disait le rieur blasé. L’angoisse existentielle prend de l’ampleur dans Le Feu follet. À la terrasse du Flore, Alain Leroy se donne 48 heures avant le suicide, noyant son spleen. Anecdote ? les assistants de Louis Malle épuisèrent Ronet en nuits blanches, pour qu’il apparaisse lessivé à l’écran.

La Femme infidèle de Chabrol en 1969 sort Ronet de son personnage de beau mec mondain pour celui d’un Don Juan veule et goguenard, à contre-emploi, humiliant le cocu Michel Bouquet. « Delon et Belmondo ne peuvent pas en faire autant à l’époque », assure Montal, bluffé.
Les entretiens que Maurice Ronet a accordés en un seul week-end à son ami journaliste Hervé Le Boterf en 1977 dans sa maison du Luberon complètent de bien belle manière la biographie de Montal. Jeux des acteurs français ou américains, mises en scène, engagement politique… Tout y passe. Ronet lui parle de son instinct : « Le personnage doit venir à moi, pas l’inverse ». Il fait écouter les Poèmes de Fresnes de Robert Brasillach, lus par Pierre Fresnay. Comme Nimier, dit-il, il n’est pas insensible au combat de l’OAS. Mais la fin des empires coloniaux est surtout celle d’une utopie, d’une folle aventure. Ses expéditions bricolées entre copains pour réaliser en 1973 deux documentaires sur le Mozambique et sur les varans de Komodo seront des fuites en avant, pleine de panache, désespérées. Les choses sérieuses se situent à un autre niveau – bien moins politique que philosophique. Mai 1968 ? « Une mascarade ».
À la fin de ce week-end très arrosé, Le Boterf s’esclaffe : « Combien de fois m’as-tu offert ta maison, après avoir écouté Le Messie de Haendel et vidé une bouteille de Chivas ?! » Ronet : « C’est une sensation très agréable de sentir sa maison habitée par un ami quand on n’y est pas, et de s’y faire recevoir quand on y revient ».
Sept ans avant sa mort d’un cancer du poumon, il réalise lui-même en 1976, Bartleby, nouvelle dépressive réputée inadaptable. Eloges critiques de la presse. Qui décrit aussi Ronet en acteur droitier, admirateur de Céline, envoyant des colis à Robert Le Vigan, grand comédien d’avant-guerre mais aussi ancien « collabo », résigné à un exil argentin. « Mauvaises raisons ! » aurait cinglé Ronet, éternel incompris du septième art malgré son apport unique au cinéma français.
Maurice Ronet, les Vies du feu follet par Jean-Pierre Montal (biographie) et Hervé le Boterf (entretiens), Editions Séguier, 368 p., 22€, sortie le 24 avril 2025