Edward Bernays, son nom ne vous dit rien ? C’est pourtant lui qui a inventé l’art de manipuler les masses à notre époque médiatique. Un démocrate retrace sa vie.
L’idée de remonter à l’origine de la manipulation des masses pourrait sembler un peu naïve : parler pour retourner les foules n’est pas une affaire récente. Cicéron, le Christ, ou Moïse n’ont pas attendu le XXe siècle pour agir sur les esprits, par la parole. Mais Un démocrate, comme son nom l’indique, est un spectacle qui se penche sur l’art précis d’agir sur les foules, en démocratie moderne. Le lieu même, nous promet-on, du pouvoir du peuple. C’est là tout l’intérêt de ce spectacle, de nous dévoiler l’art contemporain d’agir sur l’inconscient de l’individu à l’ère de la société médiatique. Un art conçu par un Américain d’origine viennoise, « double neveu » de Sigmund Freud, Edward Bernays. Un démocrate, la pièce de Julie Tillermann aujourd’hui reprise au Théâtre de la Concorde, retrace avec simplicité et fidélité la vie de cette figure historique méconnue. Génie de la publicité né à la fin du XIXe siècle, cet expert des relations publiques a travaillé pour Lucky Strike, pour le gouvernement américain, ou pour d’autres grandes marques, en élaborant au fil des années un art de manœuvrer dans l’esprit des masses avec brio. Qu’il s’agisse de jouer sur le désir mimétique, la peur, les angoisses primitives, il a su élaborer des stratégies pour conquérir des parts de marché. Quatre comédiens sur scène, deux hommes et deux femmes, jouent tour à tour « Eddy » : le jeune Américain qui part à la rencontre de son oncle Freud à Vienne au début du siècle, l’ambitieux publicitaire à New York dans les années 20, l’auteur de Propaganda, livre retrouvé dans la bibliothèque de Goebbels, ou le cynique d’après-guerre, prêt à tout, même au coup d’État, pour faciliter à ses clients l’accès aux marchés mondiaux. Les quatre comédiens jouent, chantent, dansent, et transmettent avec un art consommé de la pédagogie les manières dont Bernays et son équipe réussissent par exemple à rendre le vert à la mode, ou, moralement plus dérangeant, à faire fumer les femmes… Si ce spectacle un peu didactique se déroule au gré d’une intrigue très classique, les jeunes gens de la salle se montrèrent ce soir de printemps, au théâtre de la Concorde, fascinés par ce Bernays qui a simplement inventé, sans le savoir, l’art des fake news et autre propagande 2.0.
Un démocrate, de Julie Timmerman, Théâtre de la Concorde, jusqu’au 26 avril.