Agathe Mouzain et Guillaume Morel –Le conte d’une amitié
Ils se rencontrent au CNSAD en 2019. « Un coup de foudre amical et créatif », résument-ils. Agathe Mouzain, originaire de Montpellier, découvre le théâtre grâce au Printemps des comédiens. Une licence de sciences politiques plus tard, elle revient à sa passion. Guillaume Morel, en région parisienne, quitte la solitude de la peinture pour le jeu, qui libère sa timidité. Très vite, ils décident de faire scène commune. Elle est fascinée par la suspension du temps sur scène, lui, par l’énergie du collectif. Ensemble, ils montent Le Conte d’hiver, dans la traduction de Koltès. Un Shakespeare dense, traversé de jalousie, de deuil et de rédemption. Elle invoque Pommerat et Deliquet, lui Brook et Mnouchkine. Tous deux cherchent un théâtre vivant, excessif, hybride. Leur complicité est une quête : celle d’une grammaire partagée, d’un théâtre à deux voix. « On y a mis nos amis, nos obsessions », glisse Guillaume. Leur pièce devient laboratoire d’émotions et manifeste d’une génération en quête d’intensité.
Le Conte d’hiver de Williams Shakespeare, Mise en scène d’Agathe Mouzain et Guillaume Morel, au Théâtre Gérard Philipe, CDN de Saint-Denis, du 21 au 25 mai.
Aly Harkous, double de Waji Mouawad
Trois ans à coder, les yeux rivés à l’écran, et déjà l’envie d’ailleurs. À Beyrouth, Aly Harkous étudie l’informatique, mais passe son temps libre sur les tournages de pubs et de clips. Un jour, il rencontre une bande de jeunes passionnés de théâtre. Il les suit, se laisse happer : le théâtre devient une nécessité, une urgence. Il intègre alors l’IESA-’Institut d’études scéniques, audiovisuelles et cinématographiques – vibre sur scène, aime les mots, le contact avec le public, le vertige du moment présent. Cinéma, télévision ou théâtre, peu importe : ce qu’il cherche, c’est jouer. Il participe à des courts-métrages, mais revient toujours au théâtre, son territoire. Ce qui le pousse ? Créer un personnage de toutes pièces, relever le défi. Sa rencontre avec Wajdi Mouawad relève du hasard. Il accompagne des amis à une audition, sans être sur la liste. Sa présence brute, instinctive, capte l’attention : le rôle est pour lui, comme une évidence. Aujourd’hui, alors qu’il s’apprête à reprendre à La Colline le rôle du double du metteur en scène, il n’oublie pas son pays. Jouer pour lui est tout simplement vital, une manière de tenir bon, d’éviter de sombrer. Au Liban, malgré la crise, il continue. Parce qu’il faut raconter, encore. L’art est pour lui un refuge nécessaire.
Journées de noces chez les Cromagnons de Wajdi Mouawad. La Colline – Théâtre national, Du 29 avril au 22 juin
Sophie Bricaire : l’artisanat du vivant
Chez Sophie Bricaire, le théâtre n’est pas une affaire de posture mais de pulsation. Très tôt, elle troque le costume de comédienne pour la direction d’acteurs, préférant l’élan du groupe à la lumière des projecteurs. Elle aime rassembler, inventer, écrire à plusieurs mains — faire surgir une langue depuis les corps, les silences, les idées qui s’entrechoquent.
À la Comédie-Française, elle accompagne les jeunes académiciens du français dans leurs premiers gestes de création, les écoute, les guide, et apprend d’eux autant qu’elle transmet. Quand Éric Ruf l’invite à monter une pièce pour le studio, elle doit répondre à deux contraintes : un spectacle court de moins d’une heure quinze et une œuvre classique ou pour la jeunesse. Aussitôt elle pense à Pinocchio de Collodi, qu’elle a découvert avec Disney avant de découvrir la dureté moralisatrice du texte original. Elle y infuse un récit personnel : le désir d’enfant, les chemins contrariés de la filiation.
Son théâtre, toujours collectif, se bâtit comme un laboratoire d’émotions, entre iconographies glanées, improvisations, et éclats de vérité. Elle orchestre, mais jamais ne s’impose. Ce qu’elle cherche ? Une justesse vivante, une joie sérieuse, un théâtre qui respire à hauteur d’humain.
Pinocchio Créature de Sophie Bricaire, du 22 mai au 29 juin 2025 au Studio de La Comédie-Française.