Parages, la revue du TNS, consacre un focus de son nouveau numéro au britannique Martin Crimp. Une promenade passionnante dans son œuvre, racontée, traduite et analysée par ses pairs.
Qui n’a jamais vu Martin Crimp sera d’abord frappé par l’étrangeté de son visage, sa chevelure blanche coupée au carré, sa silhouette longiligne et son regard intense. Qui ne l’a jamais lu sera d’abord dérouté par son écriture qui ne ressemble, elle non plus, à aucune autre. C’est le cas dans Not one of these people (Aucun d’entre eux), l’incipit d’une pièce qu’il est en train d’écrire et qui sera publié par l’Arche en 2022. Un incipit publié dans Parages en exclusivité et traduit par Christophe Pellet et Guillaume Poix. Petite immersion dans une écriture sinueuse qui se déjoue de la psychologisation des personnages : « 8. Il y avait une très bonne raison de le tuer avec un marteau. 9. À l’évaluation, j’ai dit, bon, êtes-vous bien qualifié sur un plan médical ? Ils se foutaient bien que je ne puisse pas respirer ». Ces petites phrases sont parfois d’un humour féroce comme « 22. Si queer est la nouvelle norme, me suis-je retrouvé à penser, alors quel est le but de mon statut queer ? ça me contrarie depuis plusieurs jours ». Ou encore « quand il a commencé à se définir comme homme cis, je voyais bien ce qu’il essayait de faire, mais cela signifiait que notre relation était terminée ». Le polyamour, la white supremacy, le mâle blanc cis genre, toutes ces tentatives contemporaines de catégorisation humaine, aux accents zoologiques sont égratignées, tournées en ridicule.
Au détour d’une phrase, Crimp propose d’autres grilles de lecture, des interprétations qui échapperaient à ce déterminisme forcené lié au genre, au sexe ou à la couleur. Un traitement de l’air du temps différent qui se moque du moralisme en soulignant combien les luttes sont parfois détournées au profit de la représentation narcissique de soi. Dans Chemins ouverts, chemins croisés, Christophe Pellet qui le traduit (et que Crimp traduit aussi) écrit sur leur rencontre à Londres, leurs activités communes. Pellet nous apprend qu’il était un jeune auteur inconnu lorsque Crimp l’a traduit, s’interroge sur ce qui l’avait poussé à le faire. Mais surtout il analyse avec précision les traits saillants de cette écriture incisive et polysémique. Pauline Peyrade et Rémy Barché signent une petite fiction hommage dans laquelle un couple d’artistes parle d’un auteur anglais… Un texte plein de clins d’œil pour une promenade plus érudite que théâtrale dans l’écriture de Crimp. Il laisse la place à un très beau portfolio en noir et blanc de Jean-Louis Fernandes. Pour un duo intense : Martin Crimp et Claire Stavaux, son éditrice, à Paris, au restaurant, en promenade le long de la Seine ou dans les bureaux de l’Arche. Dans Je crois qu’il est arrivé quelque chose aux enfants, Alice Zeniter analyse la récurrence des enfances sacrifiées chez Crimp avec un humour noir qu’il ne renierait pas. Enfin avec Des traces un passage, Dominique Raymond livre des fragments de son journal où elle raconte avec l’humilité des grands, comment elle s’est frayée un chemin dans la langue de Crimp pour s’approprier son rôle dans Le reste vous le connaissez par le cinéma. Ainsi s’achève ce focus passionnant et éclectique entre Londres, Paris et Avignon.
Parution : 3 décembre 2020
Prix à l’unité 15 € / Prix à l’abonnement : 40 € pour 4 numéros
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