Avec Paula ou personne, Patrick Lapeyre signe une savoureuse histoire d’amour, conjuguant finesse et drôlerie.
Quand bien même il s’étendrait sur 400 pages – en l’occurrence, le nouveau Patrick Lapeyre en compte 416 –, un roman est fondamentalement une mécanique de précision. Une pièce d’horlogerie dont la délicatesse n’est jamais plus apparente que lorsqu’il s’agit, justement, de se livrer à l’exercice délicat entre tous qui consiste à mettre en branle la plus vieille histoire du monde – comme on dit « le plus vieux métier du monde».
Un homme, Jean Cosmo, une femme, Paula : données élémentaires, minimales, dont le développement sera tout aussi élémentaire. Il s’éprend d’elle, elle est mariée, ils se revoient, l’attraction se mue en liaison. Tout cela dans un décor qui a lui aussi fait de l’usage au point qu’ailleurs que chez Patrick Lapeyre, ce Paris de toiles de fond de l’amour, Buttes Chaumont ou bois de Vincennes, et le petit appartement de Paula, cachette des amants et sanctuaire des sens, sembleraient de carton-pâte défraîchi. Mais il y a cette façon qu’a Patrick Lapeyre de nous accueillir dans son texte, comme un hôte souriant, ironique mais discret, élégant en un mot. Et c’est d’abord cette présence, amusée mais toujours de bonne compagnie, qui filigrane de part en part le roman, cette délicatesse de touche, qui donne sa légèreté à ce matériau mille fois éprouvé, et fait oublier le poids des milliers de romans, films, pièces qui l’ont exploité.
Ce qui ne signifie pas intangibilité, et encore moins inconsistance. Sainte-Beuve préconisait de plonger de temps en temps la délicatesse dans un bain « de bonne grossièreté sensuelle » pour lui éviter de s’affadir. Et sensuel, ouvertement érotique même, Paula ou personne, l’est sans pudeur. Jean aime, et c’est peu de le dire, les jeux du sexe, Paula nage d’orgasme sonore en orgasme sonore. Et la libido n’est pas seule à donner chair au roman : les amants ne sont pas, malgré qu’ils en aient, seuls au monde, et autour d’eux, celui-ci fait entendre sa rumeur. Jean cultive soigneusement une allure de hippie attardé, mais il n’a rien d’un oisif dont la vie serait un éternel cinq à sept. Il bosse, et au tri postal. Patrick Lapeyre fait merveille dans l’art de la physiologie de l’employé postal, avec un bel œil de satiriste. Mais cet œil est un organe délicat, sensible à toutes les contradictions, à ce paradoxe en particulier qu’est Jean, qui reste à l’écart des revendications sociales, sans y être pour autant indifférent.
Complexité morale du personnage, qui n’est pas pour étonner. Car Jean est aussi philosophe. Philosophe amateur : son Heidegger, dont il a sans cesse « l’Être » à la bouche, n’est pas celui des exégètes les plus byzantins du maître. Mais il cause, Jean, il est intarissable, c’est un apostolat, il faut qu’il explique « l’Être » à Paula. Où l’on retrouve la délicatesse de Patrick Lapeyre, qui nous épargne de longues tartines conceptuelles, Paula ayant l’art de faire tourner court les envolées de Jean. Car ce qui compte, c’est la sensibilité de Jean comme de Paula aux atmosphères, à ce qui flotte d’invisible dans le monde, dans les paysages. Une délicatesse de perception.
Patrick Lapeyre, Paula ou personne, P.O.L, 416 p., 22 €