Bernanos, écrivain sombre, avait cette phrase pénétrante eu égard à la période que nous traversons : « Savoir prendre sa joie dans la joie des autres, c’est le secret du bonheur ». La difficulté sinon l’impossibilité de voir les autres, nos amis, nos familles, nos collègues, nous prive de cette part de nous-mêmes, cette félicité qui nous fait sentir vivant, qui nous affranchit de bien des chagrins de l’existence.
Cette joie, menacée, enterrée, chers lecteurs, nous avons essayé d’en distiller dans le Transfuge que vous tenez en main. Nos désirs nous ont portés vers des artistes lumineux, chacun à leur manière.
Yasmina Reza qui s’est confiée longuement à nous, à l’occasion de la sortie de son dernier roman, Serge,a cet humour que nous lui connaissons bien, humour noir, humour grinçant, humour corrosif, déjouant à merveille l’esprit de sérieux de notre époque. Elle rit de cette vague identitaire, elle qui ne jure que par les personnages déracinés, elle qui préfère se concentrer sur ce qui s’invente pour chaque individu, que sur ce qui le détermine. Sartrienne, en quelque sorte.
Sébastien Lapaque prend lui des chemins de traverse dans son magnifique nouveau roman, Ce monde est tellement beau. Notre société relève de l’immonde : libéralisme, matérialisme, obsession technique menant tout droit à l’obsolescence de l’homme. Lazare, personnage principal de son livre, prend conscience que sa vie petite-bourgeoise est un désastre. Qu’il s’est cru heureux alors qu’il était à peine vivant. Point d’émancipation dans ce livre, la gauche morale n’est pas vraiment son penchant, mais plutôt une libération salvatrice par la spiritualité. Un long chemin d’amitiés tendance rabelaisienne, qui aboutira à la joie, une joie douce, discrète, simple, une grâce nourrie d’un catholicisme régénérant ; une joie à contre-courant de la littérature française dominante post- houellebecquienne, encombrée de personnages aux mains sales.
Enfin, nous vous avons préparé un long dossier autour de Bertrand Blier, qui a eu la gentillesse de nous accorder un entretien. J’ai eu l’occasion de revoir un certain nombre de ses films : quelle jouissance ! Les Valseuses, Préparez vos mouchoirs, Buffet froid et Tenue de soirée sont des chefs-d’oeuvre. Les justiciers de la presse de gauche l’ont délaissé depuis longtemps, il serait misogyne ! Diable, encore un. L’approche morale, toujours et encore, l’approche petite-bourgeoise si pénible. L’art est le lieu de l’amoralité, la crasse et les salopards y ont leur place, pas moins que les anges et les saints. Blier le provocateur, Blier l’amuseur, Blier le farceur, Blier le libertaire, quel vent souffle quand nous regardons ses meilleurs films ! Voilà encore un grand vivant comme nous les aimons à Transfuge !
Voici peut-être le meilleur vaccin de ce début d’année, nous l’appellerions « l’art de la joie ».
Courage au monde du cinéma, du théâtre, des musées, dont Transfuge est évidemment solidaire, face à l’incurie de nos dirigeants, face à cette « conspiration contre la vie intérieure », comme le disait Bernanos, non sans quelque excès.
Heureuse année à vous chers lecteurs fidèles, qui sera meilleure que la précédente, soyons-en sûrs.
Edito général
Nous ne sommes pas encore morts