Quel régal, quel plaisir, quelle jouissance que de se plonger dans cette autobiographie du plus persifleur des réalisateurs-artistes-écrivains, j’ai nommé : John Waters.
Dans ce M. Je-Sais-Tout, (Actes sud) le lecteur trouvera tout ce qui a à peu près disparu aujourd’hui : l’espièglerie, le sarcasme, l’irrévérence. Il nous le confie dans le long entretien qu’il nous a donné : la meilleure offensive contre la bêtise et la haine reste l’humour, la goguenardise. Celui qui a toujours combattu les discriminations sexuelles, racistes, de genre, est effaré de ce qui se passe dans son pays, et par ricochet dans le nôtre. La cancel culture, cette « épidémie de supériorité morale » (Bret Easton Ellis) fait des ravages selon Waters. Que ce dingo du progressisme tire la sonnette d’alarme a de quoi inquiéter. Un seul soupçon, et vous pouvez finir sous la guillotine, nous dit-il en substance ; d’où sa comparaison avec le maccarthysme. Que je sache, Waters n’écrit pas pour Valeurs actuelles, n’est pas trumpiste et n’a aucun contact avec le Ku Klux Klan. Sa parole a donc d’autant plus de poids qu’il a toujours été l’apôtre de la libération des moeurs, de tous les excès, du grotesque au trash, en passant par son fameux mauvais goût. Il nous le dit dans l’entretien, il se sent bien dans des bars où il peut croiser des hétéros, des gays, des lesbiennes, des Chinois, des blancs, des noirs etc. Son lieu de plaisir est le désordre, le mélange des genres, le bordel qui dégénère, où, surtout, l’esprit de sérieux, qui a le goût de la mort, n’a pas sa place. Le New York Times ironise sur ceux en France qui s’offusquent de la censure, de l’autocensure, de cette asphyxiante tyrannie du Bien. Cette cancel culture ne serait le fruit que de quelques étudiants agités, sans conséquence. Dans son excellent édito du Monde du 12 février, Michel Guerrin rappelle combien la censure woke pèse sur l’art et le monde intellectuel. Et l’affaire Xavier Gorce prouve parfaitement que le virus identitaire a bien gagné notre pays, et semble symptomatique de ce que nous vivons en ce moment : la plaisanterie a assez duré. Alors ce livre de Waters est une vraie bouffée d’air frais : vous passerez des moments inoubliables, hilares même, à le lire vous raconter la soirée d’anniversaire de ses soixante-dix ans sous acide ; ses souvenirs de tournage, Cry Baby, Hairspray et les autres, des films si difficiles à monter tant Hollywood peste contre les réalisateurs cultes dont tout le monde parle mais qui ne ramène pas un dollar au studio ; comment Trump a ruiné l’idée du mauvais goût ; comment sa mort même est sujette à plaisanterie : qu’on peigne bien ma moustache, le reste a peu d’importance ; la place de son « fils » Bill, quatorze ans, poupon qu’il adore plus que tout. Bienvenue chez Waters, où la dérision est reine.
Dans un autre registre, William T. Vollmann signe un nouveau livre, Dernières nouvelles. Un recueil de nouvelles traversé par la pulsion de mort, ce qui n’étonnera pas les lecteurs assidus de ce grand écrivain. Toute son oeuvre est en effet marquée du sceau de la mort, qu’on pense à son monumental Livre des violences, ou encore Central Europe. Cela n’a pas toujours été le cas cependant, puisqu’à suivre l’évolution de son travail, Vollmann se situe d’abord du côté de l’érotisme, un érotisme obscène, des bas-fonds de l’Amérique, avec des Putes pour Gloria et La Famille royale. En vieillissant, Vollmann s’est voulu plus social. Son attachement aux damnés de la terre s’est de plus en plus manifesté. Pourquoi êtes-vous pauvres ?, Le Grand Partout creusent cette veine engagée. La figure du hobo devient centrale chez lui à partir des années 2010, faisant de lui le digne héritier de Mark Twain et Jack London. Victor Hugo n’est pas très loin non plus, tant l’obsession pour les misérables est devenue chez lui majeure. Comme Hugo, Vollmann abrite chez lui des SDF. Comme Hugo, il est très attaché aux libertés, alors que l’écrivain ne cache pas son inquiétude face à un mouvement de fond liberticide dans son pays. Son dernier livre ouvre une nouvelle porte sur l’univers si riche du romancier. S’il reste obsédé par la mort, le livre est plus métaphysique. Il installe son lecteur dans un monde peuplé de fantômes, de vampires, de démons, de goules, de sorcières. Et l’on se dit qu’il est un écrivain prodigieux, tant il est capable de passer d’un genre à l’autre, des reportages à des nouvelles fantastiques. Nous sommes donc très heureux de retrouver William Vollmann, que nous suivons depuis très longtemps, et qui fut même chroniqueur pour Transfuge.
La période que nous vivons nous confronte quotidiennement à la maladie, à la mort. C’est aussi pourquoi ce dernier livre de Vollmann trouve un écho en nous avec tant de force. Mais n’oublions pas qu’un livre est une pulsion de vie, un voyage merveilleux, une résurrection.