A l’occasion de la Berlinale où nous avons pu voir le prochain film de Xavier Beauvois, Albatros, (sortie prévue le 25 août), Transfuge s’est rendu un après-midi chez le réalisateur, pour en savoir un peu plus.
Découvrez l’intégralité de notre reportage dans le numéro d’avril.
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C’est avec affabilité que Xavier Beauvois et son épouse nous accueillent – Vincent Jaury, Laura Stevens, la photographe de Transfuge, et moi-même – en cette après-midi de février pour évoquer Albatros, son tout dernier film. École oblige, la petite Madeleine n’est pas là. Dans la maison et le jardin, partout des traces de ses anciens films : une tombe et des meubles hérités du tournage des Gardiennes, un tableau ayant appartenu à Jean Douchet (on le voit dans N’oublie pas que tu vas mourir), le tombeau de Charles Chaplin utilisé dans La Rançon de la gloire, une statue de la vierge venue des Hommes et des dieux, et originaire du même film, la plaque bleue devant le dispensaire de Frère Luc. Un tel assemblage de reliques signifie-t-il que Beauvois est nostalgique de ses films passés ? Ou qu’il essaie d’ériger un musée à sa propre gloire ? Je ne le crois pas. Quand on lui demande s’il revoit ses anciens films, Beauvois assure que non (sauf s’il tombe dessus par hasard à la télé) : il pense toujours au film prochain. Non, s’il s’entoure des annales de son passé, ce n’est ni par nostalgie ni par gloriole mais plutôt parce qu’il se définit intégralement, comme un cinéaste. Il est ce queses films ont fait de lui, il est l’expérience acquise pendant ses tournages, il est le résultat de ses collaborations avec les acteurs et les techniciens, il est la trajectoire de ce môme du Pas-de-Calais devenu cinéaste. Il confie : « je ne suis vraiment moi-même que sur un plateau. Quand on tourne la scène de la tempête dans Albatros avec un remorqueur de haute mer qui asperge d’eau le bateau du film (les yeux brillants, il nous montre des photos du tournage), je m’amuse comme un enfant. Comme lorsque je filme l’armée d’ailleurs. Le reste du temps, je suis un taiseux, un contemplatif. ». Ce sentiment d’être un cinéaste avant tout s’explique aussi par le fait que sa carrière s’est construite en dépit de circonstances peu engageantes : « je venais de province, je n’avais pas le bac, pas une tune, pas de relation. Un jour que je visitais le Musée du cinéma avec ma classe, je tombe par hasard sur le numéro de Bertrand Tavernier dans l’annuaire de la profession. Un dimanche je l’appelle pour lui demander des conseils. Il me dit qu’il faut que je passe mon permis de conduire pour être stagiaire sur les tournages. C’était un bon conseil. Heureusement que je l’ai suivi. J’ai été stagiaire avec Téchiné et Oliveira. C’est comme ça que j’ai commencé. ».
De cette façon d’être un cinéaste avant tout témoigne aussi sa fidélité aux réalisateurs et acteurs qui ont nourri son amour du cinéma. Pendant le tournage de N’oublie pas que tu vas mourir, il propose à Philippe Garrel (avec lequel il tourna plus tard Le Vent de la nuit) de venir tourner une scène de son propre film : « Garrel était à Rome pendant que je tournais. Il se faisait profondément chier et je lui avais donné super envie de tourner. Il y avait une scène que je n’avais pas envie de faire : celle où le personnage que je joue dégueule dans les toilettes de la gare de Rome. Je lui ai proposé de tourner la scène. Je lui ai expliqué la place de cette séquence dans le film et il l’a tournée. Évidemment, il en a fait du Garrel, c’est fou ! ». Jeune cinéphile, Beauvois aimait aussi les westerns et les films d’aventures, notamment ceux avec Jean-Paul Belmondo. D’ailleurs, il cite souvent Un singe en hiver parmi ses films favoris. Il conserve aujourd’hui la même admiration pour Bébel : « travailler avec Victor Belmondo, son petit-fils, c’était aussi une manière de faire plaisir à son grand-père qui m’a fait tellement plaisir. Je me suis retrouvé à côté de Victor dans un avion après la Palme d’or accordée à son grand-père. Il m’a dit qu’il voulait faire du cinéma. Je lui ai proposé d’être stagiaire sur Les Gardiennes. Il s’est tellement bien débrouillé que je lui ai proposé un petit rôle sur ce film et un rôle important dans Albatros. Il est super-doué ! ».
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Xavier de front
Assis dans son jardin, Beauvois revient maintenant sur la genèse d’Albatros. Le scénario a été inspiré par la lecture d’un article dans Society racontant l’histoire d’un paysan désespéré qui, au bout du rouleau, fonce au volant dans des policiers qui l’abattent en état de légitime défense. Le réalisateur de Selon Matthieu a modifié les circonstances du drame : dans Albatros, le gendarme tue accidentellement le paysan alors même qu’il essaie de le sauver d’un suicide. Il tire dans la jambe mais hélas touche l’artère fémorale. « Je suis entouré de paysans, je sais beaucoup de choses sur eux. Mais j’ai aussi des amis gendarmes et j’ai essayé de me mettre à leur place. Je pensais à la réplique du personnage de Morgan Freeman dans Seven : j’ai sorti deux fois mon arme dans ma carrière et je n’ai jamais tiré “. Je me suis dit que cela serait intéressant de raconter cette histoire du point de vue du gendarme homicide. Cette fois, je n’ai pas fait vraiment de stage d’immersion comme pendant la préparation du Petit lieutenant, mais j’ai passé quelques jours avec les gendarmes. Je les accompagnais dans leurs patrouilles. Après je les invitais au resto, ils adoraient ça ! Ils m’aidaient pour l’écriture. Cela dit ça fait drôle d’écrire le scénario avec un type armé dans son salon (rires) ». A-t-il peur que le film soit mal interprété maintenant que les violences policières font les grands titres de la presse ? « Non, pas vraiment. D’abord j’ai eu l’idée du film bien avant ces histoires. Et puis, selon moi, ça n’existe pas les violences policières car je distingue la gendarmerie, la police et la milice de Macron. C’est la milice macronienne qui est coupable de violences et d’exactions. C’est elle qui gaze des jeunes étudiants, qui tabasse les infirmières et les pompiers. Je ne pense pas que l’armée (dont la gendarmerie fait partie) suivrait des ordres inconsidérés. D’ailleurs on m’a raconté que des gendarmes avaient refusé de suivre certains ordres. C’est d’ailleurs pour ça que j’ai placé au début du film une scène où certains gendarmes expriment leur scepticisme quant au bien-fondé de l’utilisation des flash-balls. Bon, je ne vais pas me faire que des amis en parlant de milice macronienne, mais je m’en fous : j’ai déjà eu un contrôle fiscal (rires) ! ».
Nous lui confions que nous avons apprécié la manière dont, dans Albatros, sa caméra réussit à attraper le réel sans se grever de grilles idéologiques. Ainsi le spectateur accompagne les paysans et les gendarmes sans que lui soit imposé un regard préconçu sur ses métiers. On ajoute que sa capacité à saisir les situations avec une manière d’épaisseur documentaire nous semble une qualité distinctive de son cinéma. Il nous répond qu’il regarde deux ou trois documentaires par jour et qu’il aime travailler avec des gens qui connaissent bien le sujet du film, ce qui les rend aptes à distinguer d’éventuelles erreurs. « Je ne supporte pas les films où un mec dit “pose ton revolver” alors que le gars en face de lui tient un pistolet. Et puis quand, dans le film, Julien l’agriculteur dit qu’il gagne 350 euros par mois c’est en effet ce que gagne l’acteur qui joue le personnage de Julien et qui est lui aussi agriculteur dans la vie. ».
Puisqu’il ne rebondit pas sur le mot « idéologie », j’en essaie un autre : « frontalité ». J’aime en effet sa façon de cadrer, toujours frontale, jamais décorative, toujours au cœur des situations filmées. Une façon de cadrer qui rappelle une formule de Godard : « les autres encadrent, moi je cadre ». Beauvois sourit. Il se souvient : « quand je tournais avec Caroline Champetier, on nous appelait Caroline de biais et Xavier de front (rires) ».
Connerie de parité !
Pour ce qui est de la distribution, Jérémie Renier s’est imposé très vite. D’ailleurs Beauvois ne fait pas passer d’essais, sauf avec les amateurs. Il trouve inutile, voire humiliant, de tester des comédiens comme Nathalie Baye, Lambert Wilson, Michael Lonsdale, Benoît Pooelvorde ou Jérémie Renier. De manière générale, il ne croit pas à la direction d’acteurs. « Je ne dirige personne. Mankiewicz disait qu’un acteur c’est quelqu’un à qui il faut juste dire : “plus rapidement “ou “ plus lentement “. Je crois à ça. Et puis un bon acteur ça se reconnaît tout de suite. C’est comme quand on monte en bagnole avec quelqu’un. Au bout de cinq minutes, on sait s’il sait conduire, s’il prend bien les virages, s’il accélère au bon moment. Des acteurs comme Nathalie Baye, Lambert Wilson et Michael Lonsdale peuvent tout jouer. Je me souviens du tournage de la scène où frère Luc (Michael Lonsdale) bavarde avec la jeune Sabrina Ouazani dans Des hommes et des dieux. On avait prévu de tourner une scène d’intérieur mais au moment de la tourner je l’ai trouvée nulle. Je suis allé vers Michael et je lui ai dit : “comme les prêtres parlent toujours d’amour, ça te dirait d’improviser un petit dialogue où tu évoques tes expériences amoureuses ? “Il a dit oui sans hésiter. “On la fait tout de suite ? » « Oui, oui » . Et dès la première prise c’était plié ! Ça, c’est un grand acteur ! D’ailleurs je n’ai jamais eu de mauvaises expériences avec les acteurs. ».
Puisqu’on parle distribution, que pense-t-il des revendications à la parité sur les plateaux ? « La parité c’est des conneries. Quand je tourne Les Gardiennes, je bosse avec une scénariste, une monteuse, deux productrices, trois comédiennes, il faudrait que je les vire pour prendre des hommes à la place ? C’est complètement absurde ! Quand je confie à Roschdy Zem un rôle de lieutenant de brigade ce n’est pas à cause de ses origines mais parce que c’est un grand acteur, point barre ! ». Heureusement Sylvie Pialat, sa productrice depuis Les Gardiennes, ne l’embête pas avec ça : « le couple cinéaste-producteur, c’est sans doute ce qu’il y a de plus important au cinéma. D’habitude avec un producteur, il faut mentir. Quand on veut deux cents figurants, il faut en demander trois cents parce qu’on sait qu’on aura moins que ce qu’on demande. Avec Sylvie, pas besoin de ces stratagèmes, je joue carte sur table. Je suis trop vieux pour ces conneries. Avec Pascal Caucheteux, nous avons très bien travaillé ensemble. Mais nous étions arrivés à un point de non-retour. Je disais “noir “et il disait “blanc “, je disais “blanc “pour qu’il dise “noir “ et alors il disait “blanc“… ça pouvait plus continuer. ». Une rupture qu’on imagine néanmoins difficile tant Beauvois est un homme d’équipe aimant appeler les mêmes collaborateurs. Même si pour Albatros il n’a pas retrouvé Caroline Champetier, la directrice de la photographie de la quasi-intégralité de ses films depuis N’oublie pas que tu vas mourir en 1995. Pourquoi ? « Parce qu’elle a préféré tourner un clip avec Carax ». Si ses dédains sont marqués, ses enthousiasmes le sont tout autant. Il nous parle avec chaleur des films qu’il a aimés récemment : Ni le ciel ni la terre de Clément Cogitore, Valley of Love de Guillaume Nicloux ou encore Manchester by the Sea de Kenneth Lonnergan. On le voit : Beauvois est sensible à des œuvres âpres qui, un peu comme les siennes, nouent un dialogue serré avec la mort et l’invisible ; des œuvres hantées par le besoin de rédemption et la question de la possibilité du pardon. (…)
Albatros de Xavier Beauvois, avec Jérémie Renier, Marie-Julie Maille, Victor Belmondo, Iris Bry… Pathé, sortie le 25 août