Avec Nomadland, Chloé Zhao traite le déracinement et la solitude comme des valeurs américaines fondamentales. Sortie en salles mercredi 9 juin.
Fern (Frances MacDormand, bouleversante) fait partie des laissés pour compte d’une classe moyenne naufragée, mais elle refuse d’abdiquer et préfère, à la mort de son mari, acheter une caravane pour tenter sa chance ailleurs. Elle a décidé de partir sur les routes et son parcours la mène sur des terres arides qui se déploient le long de paysages tour à tour enneigés ou caniculaires. La caméra suit son van, ce home sweet home ambulant. Elle s’arrête de temps à autre pour gagner de quoi subvenir à ses besoins, des besoins rudimentaires dans une Amérique où les gagnants sont de riches sédentaires, confortablement établis dans des maisons soignées — telle sa sœur qui admire pourtant son courage.
Après Les chansons que mes frères m’ont apprises (2015) et The Rider (2017), la cinéaste Chloé Zhao s’attache de nouveau à suivre des êtres en marge, des êtres qui occupent de grands espaces de solitude, des nomades qui refusent d’être engloutis et ont fait le choix d’une vie sévère et âpre. Elle observe cette communauté itinérante qui, si elle se retrouve de temps en temps, n’appartient à aucun lieu, vit et dort dans la précarité, occupe des postes déconsidérés et mal rémunérés (manutentionnaires pour Amazon ou serveurs de fast-food).
Fern fait corps avec son van tout autant qu’avec le décor. Rarement un visage d’actrice, creusé par les sillons de l’âge, aura été filmé avec une telle franchise. Le montage alterne entre l’immensité des espaces naturels ouverts et les grands hangars clos où l’humain ne peut trouver qu’une place mesurée — mesure et démesure d’un pays dominé par le pouvoir économique qui révèle sa face inhumaine quand Zhao cherche l’humanité des oubliés du rêve américain. Curieux mariage que ce cinéma social ancré dans des paysages époustouflants — un peu comme si les frères Dardenne rencontraient Terrence Malick — mais Zhao possède un style et un art de la mise en scène uniques. Le décor devient un personnage à part entière dans un film dominé par les roches, les vallées, les espaces désertiques. Souvent filmé entre chien et loup, Nomadland témoigne d’une recherche d’un autre éclairage — et l’adage qui consiste à dire que le cinéma c’est peindre avec la lumière, a rarement été aussi juste. Et si la cinéaste refuse toute posture esthétisante, se rapprochant davantage du documentaire que du western ou du road-movie, elle s’attache surtout à mettre sous ses feux ceux qu’on ne filme plus, ou plus jamais dans un écrin aussi flamboyant : des femmes et des hommes vieillissants, sans fard, des êtres cabossés ayant travaillé toute leur vie pour une société qui ne leur reconnaît plus le droit d’exister sur cette terre promise qui n’a pas su tenir ses promesses. Zhao leur confère une place dans ses cadres, minuscules silhouettes perdues au milieu d’espaces commerciaux écrasants, pour ensuite les installer dans de superbes décors crépusculaires. Nomadland s’offre telle une troublante ode à la liberté dans une Amérique encore grandiose.
Nomadland de Chloé Zhao, avec Frances McDormand, David Strathairn, Gay DeForest… The Walt Disney Company France, sortie le 9 juin.
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