À l’occasion du bicentenaire de la naissance de Flaubert, le FRAC Normandie Rouen propose une relecture de l’œuvre et de la vie de l’ « homme-plume » au prisme de l’art contemporain. Une véritable éducation littéraire !
Flaubert multipliait les courses en fiacre pour sa documentation. Moi, j’ai sillonné les abords de Rouen, pour quatre étapes (sur une dizaine) de l’expo Déjouer Flaubert du FRAC Normandie Rouen, avec sa directrice, Véronique Souben. D’abord, Ry, qui aurait été la matrice de Madame Bovary. Village hanté par Emma et les autres, Ry est jalonné d’œuvres de plasticiens, comme autant de signets laissés un dans les pages du roman. Ici, c’est Timothée Schelschtraete : une photo de store métamorphosée, agrandie, repeinte, évoque la fameuse voiture « à stores tendus » du roman. Là, c’est Laurence Cathala qui a placardé sur les murs des halles des extraits du roman – parasité par ses soins, les sexes se brouillant, Charles devenant Charlotte, Emma l’auteur et Flaubert Emma.
Alors qu’on quitte Ry pour le merveilleux château de Bois-Guilbert, fief du sculpteur Jean-Marc de Pas, je repense soudain à une lettre du héros du jour (et de l’année) à Taine : « Le moyen d’être idéal c’est de faire vrai, et on ne peut faire vrai qu’en choisissant et en exagérant. » C’est déjà Déjouer Flaubert : avec l’art contemporain, prélever, magnifier, voire déformer des aspects de l’œuvre pour mieux révéler celle-ci. Ainsi, à Bois-Guilbert, donc, cet accrochage consacré à Bouvard et Pécuchet, restituant en quatre salles les investigations scientifiques des « deux bonshommes ». Les troublantes Méduses de Stéphane Montefiore, Batia Suter avec sa très warburgienne Parallel Encyclopédia #2, qui accumule et articule toutes sortes d’images, ou encore Fabrice Hyber : à chaque fois, le savoir déraille, ses objets deviennent monstrueux, ou élusifs, ses méthodes virent à la manie. Bouvard et Pécuchet ou la libido sciendi comme pathologie.
Direction Mont Saint-Aignan ensuite, et la série de tirages de Magdi Senadji, Bovary. Une photographie qui fait flèche de tout bois : ici, ce sont des gestes ruraux immémoriaux, là Isabelle Huppert dans le film de Chabrol, plus loin le détail d’une peinture robustement réaliste. Le détail justement, avec la minutie des clichés, l’attention presque tactile portée aux surfaces. Comme une réponse à Flaubert qui, toute sa vie, a cherché à équilibrer l’infiniment petit et l’ampleur : la phrase et le roman, la banalité et l’Histoire.Et c’est au lycée Corneille, à Rouen, que je conclus mon voyage en Flaubertie. Là Vassili Rabodon, étudiant à l’Université de Rouen, a rassemblé des œuvres d’Annette Messager, Saverio Lucariello (remarquable dessin), Dieter Appelt (vidéo viscérale, secouante) pour composer une « biographie imaginaire » de l’écrivain. D’où il ressort que Flaubert est un obsédé du corps. Surtout du corps du texte, suggère Paperman (le dictateur), la sculpture en journaux du Roumain Doru Covrig. C’est tout Flaubert : un écrivain qui prend pied, et même corps, dans ses phrases. Et je repense à une lettre à Louise Colet : « N’importe, bien ou mal, c’est une délicieuse chose que d’écrire ! que de ne plus être soi, mais de circuler dans toute la création dont on parle. »
Déjouer Flaubert, série d’expositions en Normandie organisées par le FRAC Normandie Rouen, jusqu’à décembre 2021
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